Rimmel, brushing, gloss et petites robes noires… Ce 26 mai, ces belles filles ne se préparent pas pour leur sortie du samedi soir, mais pour une action militante. Comme chaque année SOS-Racisme organise sa « nuit du testing »: y a-t-il discrimination ou pas à l’entrée des boîtes de nuit ? Pour ma part je vais suivre les équipes qui vont, donc, tester un club très branché du centre de Paris. Je suis chargée de constater l’éventuelle infraction. Les règles sont simples : il y a d’abord un groupe d’origine arabe qui se présente devant la boîte pour essayer d’entrer, puis suivra un groupe de Blancs qui fera la même tentative. Je ne peux m’empêcher d’avoir un vieux doute : dans les clubs courus de la capitale, est-ce que les codes sociaux ne sont pas plus déterminants que les « codes couleurs » ?
Je me colle discrètement juste à coté de la discothèque avec mon portable à la main, histoire de faire croire que j’attends des amis en retard. Le groupe test d’ « Arabes » envoyé par SOS-Racisme arrive. Le mec est élégant avec son costard noir, et les deux filles toutes pimpantes avec leurs haut-talons et leurs mini-robes. Tous les trois ont dans les 25-30 ans, bon look et se présentent donc devant l’un des clubs les plus prisés du centre de Paris. J’ai du mal à entendre ce qu’il se dit, mais en moins de 15 secondes chrono, mes trois « Rebeus » se font refouler. Je reste sur place pour attendre le second groupe envoyé par SOS-Racisme, blanc celui-là. J’en profite entre-temps pour voir qui est accepté ou pas dans la boîte. Deux couples arrivent, parfaitement blancs et, il faut le reconnaître, vraiment bien sapés ; la coupe, les tissus, l’allure… : il saute aux yeux que ce sont là des spécimens de la très favorisée jeunesse dorée parisienne. Eux rentrent directement, et je me dis qu’après tout c’est sans doute logique. Car partant d’un physique avantageux, l’élégance branchée bon-chic-bon-genre des beaux quartiers se voit de loin, et une paire de Louboutin aura toujours plus de gueule que des escarpins André. Ça confirmerait finalement mon doute : certes les Blancs entrent et pas les jeunes Arabes, mais est-ce au fond parce qu’ils sont arabes ou pas assez « bourges » ? La sélection n’est-elle pas sociale et non « ethnique » ? J’en suis à me demander si j’ai bien fait d’accepter cette mission, et surtout comment je vais rédiger mon compte rendu sans passer pour une immonde « réac » aveugle au racisme ?
Mais maintenant intervient un nouvel élément qui change radicalement la donne. Je vois venir un groupe de sept filles et garçons, tous 100 % blancs eux aussi, mais cette fois fort loin de l’apparat qui authentifie la jeunesse bien née. Pantalons informes pour les jeunes gens, ballerines avachies et jeans « cheap » sur des silhouettes pas forcément sexy pour les filles, bref une apparence tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Ils ne se font d’ailleurs pas d’illusions. Je les entends dire « non, mais t’as vu la boîte que c’est ? On rentrera jamais… » Culottés à défaut d’être bien habillés, ils se présentent quand même devant l’entrée. Physio et videurs n’ont pas l’air convaincus non plus : « Vous êtes sept, ça fait beaucoup… » Le groupe ne se démonte pas, et reste devant. Au bout d’un petit moment, j’entends la physio dire « bon ok, je vous laisse entrer, mais seulement si vous prenez une bouteille ». J’hallucine ! Eux entrent à sept avec leur style banal, mais pas mes trois « reubeus » lookés.
La démonstration ne fait que se confirmer lorsque finalement le groupe des trois Blancs envoyé par SOS-Racisme se pointe. Même composition que pour les premiers testeurs, deux filles et un garçon. L’une des deux faisant très jeune, on lui demande sa carte d’identité pour vérifier qu’elle a bien 18 ans. Et hop, le cordon rouge se lève, en moins de 15 sec chrono eux passent.
Le bilan, en tout cas pour ce club, est facile à établir. Ce que j’ai pu constater de mes propres yeux m’a terriblement choquée : oui, dans ce club ultra-branché, ce samedi soir-là, le « code couleur » l’a emporté sur les codes sociaux. Une vague inquiétude intime me saisit : je n’aurais peut-être pas dû m’habiller en rouge tellement voyant car si la physio et les videurs m’ont repérée en train d’observer, je vais être tricarde dans cette boîte. Mais moi je peux changer de « code couleur », n’est-ce pas ? Il me suffira de remplacer ma robe rouge par une mauve. Soudain, je me sens minable d’avoir de telles préoccupations. Pourquoi donc aurais-je envie de mettre les pieds dans une boîte comme ça ?

3 Commentaires

  1. Ce n’est ni un code social ni un code couleur, j’ai assez trainé en boîte pour savoir que les videurs jettent tout ce qui ressemble de près ou de loin à des fouteurs de merde. Et à ce petit jeu là, désolé de le dire, les « minorités visibles » sont sérieusement handicapées par certains de leurs compatriotes.
    Une boîte où « trainent des beurs », ça fait fuir, c’est comme ça.