Sur un après-midi à l’Hôtel de ville

La tradition républicaine veut que le Président sitôt élu réserve sa première visite à l’hôtel de ville de Paris. Cette coutume n’est jamais banale pour qui se souvient par exemple de François Mitterrand improvisant devant un Jacques Chirac dont c’était alors la citadelle, l’histoire des lieux et de la Commune.

Hier, il s’agissait d’une cérémonie d’une toute autre nature qui se situait bien au-delà du protocole. Evidemment Bertrand Delanoë recevait en tant que maire de Paris François Hollande, président de la République. Ainsi énoncé cela aurait presque l’air « normal ». Ca ne l’était pas : pour la première fois en effet un maire de Paris socialiste accueillait un président de la République socialiste. Pour la première ces deux hommes installés dans leurs vastes fauteuils sous les lambris de l’Hôtel de ville représentaient fraternellement deux institutions, la ville et l’Etat, qui se sont faits face pendant trois siècles. Et chacun d’entre-nous de se remémorer combien il aura fallu de combats, de batailles et de victoires, depuis trente cinq ans, pour que cet événement improbable se déroule sous nos yeux. Je n’ai pas beaucoup de fierté mais comme Fabrice à Waterloo, je pourrai au moins dire que j’aurais vécu cela.

Car aussi sûrement que l’on trouve du brouillard à Londres, l’ancrage politique de la capitale a longtemps fait figure d’évidence qui ne souffrait la contestation. C’était ainsi depuis des décennies et devait l’être encore pour des millénaires : Paris était de droite. Finalement, l’édifice s’est fissuré, en 1995, dans les premiers arrondissements conquis par la gauche avant que Bertrand Delanoë n’arrache Paris à sa fatalité en 2001 et n’en fasse le bastion et l’étendard d’une gouvernance ambitieuse, solidaire et rigoureuse qui a sans aucun doute permis à des ambitions plus vastes de devenir réalité.

La journée du 16 mai a été à bien des égards particulière.

Le matin dans le décorum de l’Elysée François Hollande était investi. Le terme choisi est plus précis encore puisqu’il s’agit de la passation de pouvoir, ce qui signifie que  dans un bureau un homme, Nicolas Sarkozy a transmis à un autre, François Hollande les pouvoirs à commencer par les codes de la force nucléaire, qu’il avait lui-même reçus de son prédécesseur.

Après l’Elysée, l’Hôtel de ville ; après le pouvoir,  l’Histoire. C’est avec ce balancier que j’ai vécu ces événements qui est aussi, ne le cachons pas, la plus subtile et la plus sûre distinction entre la gauche et la droite.

Dans l’après-midi, le président traversa au milieu des parisiens l’histoire de la capitale et de la France. A la mairie de Paris, François Hollande n’a pas annoncé ses prochaines mesures mais salué trois révolutions qui, d’une manière ou d’une autre s’étaient forgées et incarnées dans ces lieux.

Pour un président de gauche, ce lien au temps est le contraire d’une arrogance. Le sentiment que ce qui a été chèrement conquis est loin d’être acquis,  comme nous le dirions de quelque chose que nous aurions emprunté et qu’il faudra rendre à son légitime propriétaire plus tard. Regardant l’histoire nous sommes étreints par l’odieuse certitude d’être à peine arrivés et que déjà le temps nous est compté ; que sur le temps long la gauche gouverne, oui, mais par interstice, par accident et presque par effraction. Je suis convaincu que malgré la liesse et l’allégresse du moment, ces deux hommes, le Maire de Paris et le Président de la République sont aussi habités par cette mélancolie historique qui leur commande d’agir vite.

L’après-midi et la cérémonie tirent vers la fin. Aujourd’hui et pour la dernière fois, nous sommes tous réunis. La foule se disloque et se répand vers les buffets. On annonce que Jean-Marc Ayrault vient d’être nommé premier ministre. Le futur gouvernement de la république est là au grand complet mais il ne sait pas lui-même. Plus exactement, tous ses membres sont présents sans que chacun à cette heure ne sache le sort qui demain sera le sien.

Je quitte l’hôtel de ville en pensant à l’interminable attente qui maintenant s’achève pour des milliers de militants, d’élus, de responsables associatifs, de fonctionnaires à la carrière entravée qui voient enfin la consécration de tant d’efforts et de tant d’espoirs et à laquelle succède immédiatement les attentes innombrables et nombreuses des millions de français qui se sont exprimés dans la ferveur et la crainte le 6 mai dernier et qu’il est interdit de décevoir ou de tromper.

4 Commentaires

  1. C’est émouvant de voir, en effet, la gauche pleinement au pouvoir…
    Il ne manque plus que les législatives.

  2. La fête a été faite. Et quelle fête! La guerre de succession avait individué le lien profond à la mémoire de gauche, l’avait intensifié à tel point que l’émotion débordait de toutes parts. Après s’être tout dit jusque dans le non-dit, les socialistes doivent à présent parler avec les libéraux. Il n’y a pas juste une voie qui se respecte. Il n’y a pas qu’un ordre de valeurs moral. Le fait qu’une autre option soit tout aussi fréquentable ne donne pas, à moi (!) en tout cas, un tournis à se taper involontairement la tête contre un mur. Je n’ai plus cinq ans. Si ma mère me dit qu’elle aime mon frère, je n’en conclus pas qu’elle ne m’aime plus.
    Son existence même confirme la nécessité d’une autre voie. Nul ne sait tout. Nul n’est tout. Nul ne voit tout de là où il voit. Car chacun voit de quelque part. D’où tu parles? disaient les soixante-huitards… Sous-entendu, si tu ne parles pas de là où je parle, tais-toi. Or, les uns comme les autres ne parlent que de là où ils parlent, ils ne parlent donc jamais de là où ils ne parlent pas. Il leur est donc impossible de savoir s’ils verraient mieux de là où ils n’ont rien vu.
    Certains arrachent des mains le savon de Sartre et retournent labourer les dents de Camus.
    On a vu souvent jaillir un doigt de sagesse d’une discussion phosphorescente.
    J’ai systématiquement dressé un bouclier contre la diabolisation de Nicolas Sarkozy et par induction, de son mouvement politique. J’ai pris ce risque autour de moi comme j’avais pris en d’autres temps celui de prendre la défense d’un BHL à l’encontre duquel un même déluge irrationnel de mépris et de détestation s’abattait, depuis la même hémisphère de la planète Meute. Je n’ai pas hésité à combattre ce que chaque fois j’identifiais comme une peste assez maladroitement maquillée, laquelle révéla sa nature bien avant que je dus, par exemple sur ce site, essuyer de sa part des injures scatologiques. J’y avais défendu l’honneur de Sarkozy en tant que socialiste, au nom du socialisme. Que la droite s’apprête dorénavant à devoir laver son propre nom en nettoyant celui dont quelques connards de son camp éclabousseront François Hollande en sautant à pieds joints là où ils s’oublieront!
    Je ne chercherai pas ici à établir un lien de nature entre l’ex d’Arielle Dombasle et l’actuel de Carla Bruni qu’un prolongement sur les mêmes critères invaliderait aussitôt. Ce que je sais, c’est qu’une même allergie se réveillait dans les mêmes milieux que je fréquentais alors, et que je suis amené à côtoyer encore, au compte-goutte, chaque fois que j’avais le malheur d’émettre les sons dont sont formés leurs noms. Cette allergie déclenche un ricanement immédiat. Un type de haine très particulier, une sorte de dénigrement de principe, de répulsion à accorder de la hauteur, de la grandeur, de la puissance, de la majesté à des individus appartenant à cette catégorie que je leur laisse le soin d’étiqueter tout seuls mais qu’ils se refusent à faire entrer dans la catégorie véritable à laquelle ils appartiennent, quelque chose qui ressemblerait à du racisme sans en être vraiment et qu’il faudrait, pour le coup, qualifier de néoracisme dès lors que l’on serait en mesure d’identifier le génome en question.
    Être de gauche, c’est se savoir à la gauche d’une force de même importance que la sienne, une force dont l’existence garantit sa propre position dans le système dont elle procède tout en l’empêchant de décrocher vers le vide sidéral de l’antisystème que représenterait une galaxie de systèmes inexplorés que leurs caractéristiques inconnues interdisent à quiconque s’y abandonnerait d’affirmer qu’il s’en sortirait.
    On est en droit de penser que Royal aurait mieux géré les crises en cascade de la Grande Récession sans pour autant être en devoir de penser que Sarkozy les a mal gérées. L’étanchéité de Borg si elle sortit le tennis mondial des sentiers de terre battue et obséda jusqu’à épuisement les rock stars sur gazon des années Soixante-dix, n’a jamais fait de Connors une passoire ni de Vilas une chiffe molle.
    Si Hollande fut choisi sur son seul programme et non contre celui du seul Sarkozy, il ne faut pas que les siens fassent l’erreur de miser leur victoire aux législatives sur le rejet d’un adversaire qui n’est pas leur ennemi. Les grandes orientations du programme hollandiste suffiront amplement à donner une majorité parlementaire qui permette au nouveau président de la République d’engager la France sur la voie en amont de laquelle une majorité de Français ont choisi de s’avancer à ses côtés.
    La cohabitation, c’est la politique de l’impolitesse. Impolitique à défaut d’être apolitique, chacune des jambes de l’exécutif y oblique à foutre indistinctement par terre le moindre élan plus ou moins constructif que l’autre lui insuffle. La droite est très sensible aux notions de bonne éducation et d’exemplarité. Elle reproche à la gauche d’avoir bloqué de façon systématique jusqu’à se contredire elle-même chaque proposition de loi qu’elle soumit à l’Assemblée au cours du mandat précédent. Elle va cependant tirer un grand pouvoir de sa prochaine défaite. Celui de se montrer exemplaire durant les cinq prochaines années.
    Une rupture élyséenne vissée à une continuité matignonne aurait pour seule explication un vote de rejet à la présidentielle.
    La différence entre un antisarkozyste et moi, c’est que mon vote du 6 mai pour Hollande fut un vote d’adhésion.
    Hollande et les hollandistes ne peuvent pas dire ce qu’ils doivent aux sarkozystes et à leur chef, pas davantage que Sarkozy et les sarkozystes ne pouvaient dire ce qu’ils devaient à Jospin et aux jospinistes. Il(s) ne peu(ven)t pas le dire, mais il(s) peu(vent)t le savoir. Ce qui l(ui/eur) éviter(a/ont) de transgresser les règles du jeu républicain et de trouer la coque d’un régime risquant à tout moment de chavirer par défaut d’équilibre. C’est donc aux sarkozystes d’entretenir la mémoire de ce que fut pour eux et pour la France le sixième président de la république gaullienne. Quand d’un côté, les hollandistes se tireraient une balle dans le pied en reconnaissant trop tôt son envergure historique à un Sarkozy ayant, entre autres hauts faits, accompli pour les musulmans de France ce que Napoléon Ier avait offert aux Juifs français par la convocation du Grand Sanhédrin et le serment au cours duquel les représentants de leur culte s’étaient dits, en leur nom, prêts au sacrifice suprême pour la sauvegarde de la nation, – avec la création d’un Conseil français du culte musulman, Nicolas Sarkozy aura permis aux musulmans de France de se percevoir comme Français de confession musulmane, et en aval de cela, de sceller leur destin à la nation tout entière en s’appuyant sur une institution animée d’un pouvoir libérateur vis-à-vis de l’emprise qu’avaient pu et que pourraient encore exercer sur eux quelques faux amis qui se seraient mis en tête de faire d’eux les serviteurs d’une cause extérieure, contraire et pouvant aller jusqu’à menacer les intérêts de leur république, – d’un autre côté, les sarkozystes n’admettront jamais publiquement que ce ne pouvait être le même homme, qui avait pu officialiser ce dialogue essentiel entre les trois religions monothéistes pour avoir noué leur amitié réciproque et simultanée avec l’État, qui allait maintenant se trouver en position de modifier cette relation. Or cette relation doit changer. Car ce n’est pas au religieux de ramener la paix civile en France lorsque celle-ci est menacée comme récemment à Toulouse ou Montauban. La république ne doit pas dépendre de la sagesse des chefs spirituels, aussi sainte que soit leur parole, mais de la sagesse dont ses propres principes l’investissent. Hollande pourra imposer ceci après que Sarkozy eut imposé cela. Un temps pour la droite. Un temps pour la gauche.
    Éviter de se jeter à la face un discrédit réciproque, voilà à quoi me mènent toutes ces années de rage où les uns comme les autres m’ont tour à tour fait injustice. Nul n’est propriétaire de l’injustice des siens. Nul n’est propriétaire de la justice d’autrui. Une fois dénigrés l’un par l’autre les deux piliers de la représentation nationale, la gent fasciste n’a plus qu’à se baisser, je veux dire à étendre les bras, à droite ou à gauche, pour amasser les voix qui se rapprochent d’elle, atterrées. On peut faire des reproches, on doit en faire aux personnes que l’on tient pour proches, on le doit puisqu’on attend d’elles autre chose, et il n’y a pas la moindre chance qu’elles répondent à une attente stridente sauf à la pousser hors de sa chambre sourde. Mais il y a un gouffre denté entre un reproche visant une action et le reproche qu’on adresserait à la nature de son auteur. Reprocher à un homme d’être ce qu’il est, cela reviendrait à le disqualifier a priori de toute action qu’il pourrait accomplir. Ce ne serait pas lui demander de faire ce qu’il n’aurait pas fait, mais d’arrêter à l’avenir de faire quoi que ce soit. On ne saurait traiter son prochain de la sorte si ce n’est une personnalité irresponsable dont le profil psychologique mettrait en danger de mort imminente ceux qu’on aurait ou qui se seraient placés sous son autorité. Un autocrate psychotique et sa horde tyrannique, par exemple. Danny le Rouge lui-même, incarnation d’une fin de printemps à laquelle nous devons toutes et tous un pan de notre liberté, ne parlerait pas sous un tel prisme de ou avec Sarkozy et les siens. Notre démocratie est mûre pour quitter l’âge de l’adolescence. Faisons donc! Étendons le principe d’unité à tout ce qui est la république et sachons reconnaître ce qui ne l’est pas en sorte qu’au moment de tirer sur notre commune cible nous n’atteignions pas l’un quelconque d’entre nous!

  3. beau témoignage…j’étais sur l ‘ Esplanade et il y avait une grosse émotion…on a chanté la Marseillaise avec coeur….hélas le son fut coupé pendant l’intervention de notre trés éloquent maire de Paris et ne reprit que bien plus tard….j’espère que cette panne n’est pas prémonitoire et qu’on sera toujours ‘branchés, eux et nous…
    francoise.

  4. Cher Patrick,
    Plusieurs éléments pour nuancer ton propos.
    La gauche a imprimé sa marque sur la pays, bien au delà de ses années effectives de pouvoir. La France est de fait un pays socialiste, ne serait-ce qu’en se basant sur la théorie économique : plus de 50% du PIB dépend du public.
    Le pouvoir, la gauche pourra le garder longtemps : les « clientèles » de la gauche ne cessent de s’étendre. Et ce n’est pas la gestion du pays qui va arranger les choses.
    L’accident, aux vues de l’évolution de la société française, c’était Sarko. Ça pourra être Marine un jour.
    Bien à toi,
    Thierry