Twixt est né d’un rêve de Francis Ford Coppola lors d’une nuit à Istanbul. « J’ai été réveillé par le chant du muezzin, et je n’ai pu connaître la fin de mon rêve ». L’écho de ce réveil prématuré a donné ce film. Coppola lie sa mésaventure onirique à son désir d’inventer un nouveau cinéma, tel qu’il l’entreprit dans ses deux derniers films, afin de « redevenir un étudiant en cinéma » et s’éloigner de ses gloires passées en se mettant à nouveau à l’épreuve. Là où d’autres sont en compétition avec les grands maîtres, le réalisateur d’Apocalypse Now et du Parrain le serait désormais avec lui-même.
Le héros du récit est un écrivain de seconde zone venu présenter son roman sur la sorcellerie dans une bourgade perdue, où un immense beffroi muni de sept cadrans indique sept heures différentes. Notre écrivain apprend du shérif que des meurtres ont été commis et rêve la nuit d’une mystérieuse jeune fille prénommée V, dont l’histoire semble liée à ces meurtres. Décelant là un nouveau sujet de livre, il se partage entre les nuits où l’inspiration lui vient de ses rêves, et les journées où il tente de démêler l’affaire.

Comme les premiers projets d’adolescence de Coppola, c’est un film que le cinéaste qualifie de gothique. Par opposition à l’architecture classique, où l’agencement des différentes pièces dépend d’une règle d’harmonie qui vaut pour l’extérieur du bâtiment, les châteaux gothiques sont conçus de l’intérieur : leur allure dépend donc de leur fonctionnalité. Pour Twixt, le même principe est à l’œuvre : tout obéit à la nécessité interne des choses et non à l’ordre extérieur du monde. De même, ce sont les rêves qui, de l’intérieur, gouvernent le film, et non le film qui serait l’interprétation de ces rêves. Des rêves actifs, en train d’être rêvés, auxquels le film n’a pas pour dessein de donner une quelconque logique. Twixt n’est pas l’interprétation du rêve avorté de Coppola ni de ceux de son héros, mais une illustration fidèle de l’activité onirique en elle-même. Le héros doit donc chercher en soi l’issue de son récit, tout comme la réponse à sa propre enquête. Il doit y exercer sa volonté entière, tout comme le réalisateur lorsqu’il décida d’entreprendre des films censés donner un sens nouveau à sa carrière.

Ce principe est celui d’Edgar Allan Poe, qui apparaît dans Twixt à de nombreuses reprises dans les rêves du héros. Le Nevermore du poète cher entre tous à Baudelaire est une manière d’accoucher l’histoire, qui se génère d’elle-même. On retrouve ce leitmotiv du Jamais plus dans le film où le beffroi revient sans cesse, comme une relance qui pousse l’histoire à se dépasser elle-même.
Deux scènes de Twixt sont en 3D, et un ingénieux système est utilisé pour inviter le spectateur à mettre et enlever par deux fois ses lunettes. Ce geste répété est une manière de faire réfléchir sur l’utilisation de cette technique en même temps qu’un moyen d’en contester la généralisation. Coppola insiste sur ce fait nouveau que chaque projection est devenue un événement singulier, du fait-même que le cinéma est désormais en mesure d’être « réalisé », son format, sa vision retravaillés en temps réel, par le spectateur. Ce faisant, il annonce sa volonté de faire participer le public à la fabrication du film, et ce geste de mettre et d’enlever ses lunettes en constitue la prémisse. Une ère cinématographique nouvelle commence, où un film n’est plus seulement le déroulement d’une bobine, mais une activité à l’œuvre, qui fera qu’aucune projection ne sera identique à la précédente. Lorsque le héros de Twixt est amené à trouver en lui-même l’issue de son récit, il y a là une volonté du cinéaste de montrer que, à son image, le spectateur doit s’impliquer dans ce qu’il voit. Coppola lui signifie qu’il n’est pas simplement en train de regarder un film dont le déroulement n’aurait que faire de sa présence en salle. Le cinéma est en mouvement, comme un rêve en formation perpétuelle.

Twixt est un film d’épouvante élégant et subtil, loin des clichés du genre. C’est aussi un film de transition dans la carrière de Francis Ford Coppola, qui prépare l’avenir, différent de celui qui s’annonçait mécaniquement avec la 3D. Le cinéaste propose une alternative à la généralisation des techniques « de demain », employées systématiquement au détriment d’une vraie recherche esthétique.
Cet essai concluant prépare avec brio un nouveau cinéma.
De celui-ci, la création reste à venir. Nous, spectateurs, y sommes conviés.