Qui peut comprendre quelque chose aux tournants diplomatiques de la diplomatie soudanaise ?  Le gang de Khartoum a désigné l’un d’entre eux pour les représenter. Le général Al-Dabi, ancien chef du renseignement militaire, notamment actif au Darfour, a dirigé la délégation des observateurs de la Ligue arabe en Syrie. Juste retour des choses, l’organisation s’était distinguée par son soutien sans faille aux génocidaires soudanais, sans jamais protester contre les crimes de masse commis au Darfour, ni jamais émis la moindre parole de compassion pour les victimes.

La mission de la Ligue arabe a été un fiasco grotesque et dramatique. Les observateurs ont été baladés par les sbires du Baas [1], avec très peu de contact avec l’opposition. Alors que la délégation devait surveiller un cessez-le-feu pendant leur séjour, Bashar al-Assad a redoublé de massacres, d’arrestations et de tortures. Et pourtant, le général Al-Dabi déclarait que les violences avaient baissé après l’arrivée de son équipe. Un des observateurs, l’algérien Anouar Malek a quitté la mission avec fracas en déclarant :

J’ai démissionné à cause des rapports intermédiaires du général Mohammad Al-Dabi qui ne relataient pas avec justesse ce que nous voyions sur le terrain. L’avis énoncé était très souvent celui des gouverneurs des villes, et non celui des opposants par exemple. Le rapport n’est absolument pas le reflet de la situation réelle. »

Finalement la Ligue arabe mettait un terme à la mascarade, la troupe d’Al-Dabi  quittait la Syrie, alors que les violences redoublaient dans le pays.

Mais les zigs-zags du régime soudanais ne datent pas d’hier. La diplomatie soudanaise a d’abord entonné l’air du « complot international » pour défendre le régime syrien, puis a ensuite rejoint la chorale des pays membres de la Ligue arabe qui suspendait la Syrie de son siège dans l’organisation. Khartoum sera récompensé de ce changement de répertoire par la nomination d’un soudanais à la tête de la délégation, avec le succès que l’on connaît….

Et puis incroyable virage, il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères Ali Karti, soudain assailli par la lucidité ou dans un moment d’ébriété avancé, fustigeait le véto russe et chinois qui empêche la condamnation du régime syrien au Conseil de sécurité. Or Khartoum ne tient que par le soutien politique, économique et militaire que lui apportent les deux grandes puissances. Moscou et Pékin n’ont pas ménagé leurs efforts pour préserver le régime d’Omar el Béchir de toutes sanctions trop contraignantes.

Cette diplomatie chaotique traduit le désarroi d’un gouvernement sans boussole. Le Soudan est un pays surendetté, en recherche désespérée de devises depuis la perte du pétrole sudiste. Les prix des produits de base flambent et la révolte gronde. Son président Omar el Béchir est l’objet d’un  mandat d’arrêt international pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis sous ses ordres au Darfour.

Depuis des mois, le gouvernement soudanais multipliait les appels au secours notamment en direction des pays du Golfe. Après s’être fait prier, le Qatar vient de renflouer les caisses de Khartoum. A quelles conditions ? La puissance-confetti du Golfe soutient l’opposition syrienne, tandis que Russes et Chinois sont derrière al-Assad. A Khartoum, la girouette est rouillée mais continue de tourner.

Pour combien de temps encore ?

 

Dr Jacky Mamou, président du Collectif Urgence Darfour
 

[1] Parti arabe nationaliste crée en 1947 à Damas, dont Bashar al-Assad est l’actuel président. NDLR