Texte paru dans le Courrier picard, le 13 novembre 2011.

Il le fallait ; je l’ai fait. Je suis allé voir Les Aventures de Tintin – le secret de la Licorne, de Steven Spielberg, au Gaumont, à Amiens. J’y suis allé en reculant afin de ne pas être déçu. Comment dire ? Déçu ? Même pas, non. Il y a de beaux moments, quelques ambiances, quelques velléités d’atmosphères. Mais ce côté grand spectacle, ce gigantisme, ces courses poursuites à n’en plus finir, tous ces effets. Cette volonté d’en faire un film d’action. Ce que je déteste le plus dans le cinéma. Avec tout le respect que je dois à nos amis et alliés américains, je crois que Steven Spielberg a conçu un film pour l’Amérique. Rien que pour l’Amérique. Je n’y ai pas retrouvé la magie douce, calme et poétique des albums. L’odeur des albums que j’allais acheter à la librairie-maison de la presse Perlerin, boulevard Grégoire, à Tergnier (Aisne), l’automne, en sortant du collège. C’était en1969. J’avais 13 ans. Précoces, mon copain Philippe Lefebvre et moi, attendions les filles sur le banc glacial du square coincé entre la HLM où il résidait, et la maison de mes parents. Je me souviens de l’odeur de la fumée de la raffinerie, écœurante et douceâtre. Je me souviens aussi des couettes de filles qui passaient sur leurs plicyclettes et feignaient de ne point nous voir. C’était impossible : nous étions si bêtes. Le soir, je m’enfermais dans ma chambre, délaissais Corneille pour me plonger dans Le Crabe aux Pinces d’Or. Avec les photomatons en noir et blanc que nous réalisions dans la cabine de la gare, je collais nos visages sur ceux des personnages d’Hergé. Le lendemain, après les cours de mathématiques de M. Dufresne, je montrais mes œuvres à mon copain. Il riait fort. Il voulait me convaincre que les Beatles étaient bien plus doués que les Rolling Stones. Je n’étais pas d’accord: j’avais déjà écouté le 45 tours «She said yeah». Les gueules de Brian Jones et de Keith Richards avaient fait le reste. Philippe et moi, nous nous mettions d’accord sur le fait que le lieutenant Allan avait bien la même trogne que Lino Ventura. En écrivant cette chronique, j’ouvre Le Crabe aux Pinces d’Or. Je le sens. La même odeur qu’en 1969.Je repense aux regards vides des personnages du film de Spielberg. Des regards de robots. Ce film n’est pas mauvais, non, mais il fait trop de bruit; il gesticule trop. Et surtout, surtout, il n’a pas d’odeur. Comme l’argent.

Un commentaire

  1. Cher Philippe,
    Ce n’est pas parce que tu es un garçon et moi, une fille que j’aime ton écriture.
    J’ai réfléchi.
    Quand je te lis, je palpe, je hume, je déguste, j’écoute et surtout j’admire…
    Tu sais créer des ambiances, celles qui te sont chères, bien sûr.
    Conteuse, je ne peux rester insensible à tant d’images.
    Je t’embrasse.
    Cath