Aux yeux de l’Islam, la viande est l’entité symbolique qui donne à chaque festin la dimension de communion et qui symbolise, de manière immédiate, l’accès au partage au sein de la communauté, elle-même insérée dans le clan, la nation et l’humanité tout entière.

Que dit le Coran de la viande ?

Cette matière vivante est l’objet de prescriptions précises, ce que la tradition (charia) développera abondamment plus tard. Ni les poissons, ni les crustacés ne sont mentionnés dans le Livre Saint, ce qui signifie qu’ils sont licites à la consommation, l’idée étant que ce qui n’est pas explicitement interdit est réputé permis : « Vous les hommes, dit le Coran, mangez de ce que vous trouvez sur terre qui soit licite et bon » (sourate II, verset 1681).

Quelles sont alors les limites du licite ?

Est licite toute bête du troupeau qui a été immolée au nom de Dieu. Le rituel est précis, et concerne également le gibier : « Procédez à cette immolation de façon volontaire et non profane », à l’exception des bêtes qui ont été proscrites (Coran, sourate V, verset 1) et qui sont en nombre limité.

Voici les viandes et les produits qui ne sont pas licites (halal, en arabe) : la chair morte, le sang (ce qui exclut le boudin), la viande de porc et la viande crue, sur laquelle pèse la suspicion de contenir du sang et celle sur qui fut prononcé un autre Nom que celui d’Allah. Toutefois, cette clause, qui était destinée à la première génération de musulmans à La Mecque et Médine, est tombée naturellement en désuétude. En ce temps-là, on immolait les bêtes sur des idoles en bois ou en pierre, tout en invoquant les divinités du paganisme.

Une bête à demi mangée par les fauves ou écornée ne peut être licite, car le fait d’ingérer une chair souillée provoque une souillure équivalente chez le mangeur. La même règle est étendue aux bêtes carnivores qui mangent les chairs sanguinolentes.

Voici maintenant quelques recommandations pour l’abattage : les bêtes doivent être bien nourries et ne pas être affectées de tremblements. Lors de l’immolation, la bête sacrificielle doit être orientée vers La Mecque. Elle ne doit pas voir l’égorgeur muni de son couteau, car on suppose que l’être de l’animal est sensible à cette épreuve et la redoute. Mais, toujours, la symbolique domine, car le musulman sincère ne mange pas de chair au sens banal du terme, mais une chair élevée au rang du licite en vertu du processus d’immolation qui a pour vocation principale de mettre à distance le mangeur et la chair qu’il consomme. C’est le même processus qui préside à l’exigence de la chair égorgée et non étouffée.

Dans un cas, la bête garde son sang, dans l’autre elle se vide de ce même sang que la doctrine écarte des produits consommables. Enfin, le porc n’est pas permis (Coran, sourate VI, verset 145), car sa viande est souillée par tous les excréments dont il se nourrit.

Rappelons ici que la fête collective la plus exemplaire est l’Aïd-el-kébir, la Fête du Sacrifice, en mémoire du geste d’Abraham dont Dieu détourne le couteau de son fils Ismaël (selon la tradition de l’Islam), qu’il s’apprêtait à lui sacrifier, à sa demande, et auquel il immolera le mouton de substitution.

« Ô mon fils, j’ai eu en rêve une vision selon laquelle je dois t’immoler, qu’en penses-tu ? » Son fils répond : « Ô père, fais comme il t’a ordonné de faire, tu trouveras en moi, si Dieu le veut, un être des plus persévérants. » Et quand ils eurent témoigné du nom de Dieu et que, soumis, le père mit le front de son fils à terre, Nous l’appelâmes . « Ô Abraham ! tu as cru à ta vision nocturne, c’est ainsi que Nous récompensons ceux qui agissent bien » (Coran, sourate XXXVII, versets 102-105). Spirituellement, le fait d’immoler la bête lui confère automatiquement un lien qui la fait remonter à l’épopée abrahamique.

Les animaux dans le sud de la Méditerranée sont plus secs, plus nerveux, plus musclés. Le climat joue là un rôle important, de même que l’aridité des sols et la rareté des plantes. Leur viande, outre qu’elle est dénuée de sang, pourrait être plus ferme et plus parfumée. En terre européenne, les animaux étant nourris par des pâturages abondants et bien arrosés, la texture de la viande s’en ressent. L’herbe y est plus verte et plus grasse, la viande le sera aussi, comme si l’environnement transcendait la génétique. Au demeurant, on sent bien qu’il y a derrière les races à viande une densité agricole et une culture très ancienne, un savoir-faire, une tradition. En dernière instance, tout repose sur la traçabilité de la bête, sa provenance et son mode d’abattage. Les musulmans sont-ils plus rigoureux sur cette question ? Possible ; encore faut-il vérifier que les élevages sont domestiques et non pas extérieurs, que la viande ne vient pas de pays où la notion de terroir n’existe pas.

Couscous, brochettes, tajines, viande grillée ou rôtie, méchoui, boulettes, toute la cuisine orientale repose sur la viande. Partout, elle triomphe, et bien qu’elle ne soit pas a priori une denrée rare ou sacralisée à la manière de l’interdit hindouiste qui pèse sur la vache, la viande, en particulier la viande rouge, est tenue pour un apport crucial à l’équilibre alimentaire collectif.

Un commentaire

  1. Merci Malek pour ces precisions reluisantes de dominateurs communs entre les religions Judeos-Arabes .
    Les rituels , l’ethique de vie , la musique , la poesie seront tjs exemptes d’animosite , si seulement nos politiciens en tenaient compte , les retrouvailles eclabousseront de joie autour d’un banquet !
    A bientot Laziz
    Vanessa , psychanalyste a LA .