A propos du Dictionnaire Malraux, CNRS éditions, Paris, 2011

Malraux est admirablement servi par cet ouvrage, aux 300 entrées, contributions d’universitaires français, chinois, japonais, américains, turcs. Dans ce corpus interviennent également Sophie de Vilmorin, Alain Malraux, Dominique Desanti, Bernard-Henri Lévy et Jorge Semprun, récemment disparu. Ainsi les trois co-auteurs ont tissé un lien entre le héros et son environnement proche et lointain. Nous savons que le lien n’est pas forcément religion, car, trop souvent, Malraux fut associé à une phrase qu’il n’aurait pas écrite : « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas », phrase qu’il récusa. Que dit-il dans un rajout manuscrit ? « (…) je pense réellement que l’humanité du siècle prochain [XXIe] devra trouver quelque part un type exemplaire de l’homme ».

Les hommes exemplaires ne manquent guère dans l’ouvrage. C’est d’une manière purement subjective et non chronologique que nous avons choisi de les évoquer. Des points de vue rapprochent Malraux de Walter Benjamin dans le constat d’une désacralisation par les techniques de reproduction des œuvres d’art. Quoi de commun entre Malraux et Bernanos, sinon la condamnation du franquisme, du pétainisme, et l’appel à la Résistance ? Son dialogue avec Einstein inspire à Malraux une réflexion sur les lois de l’univers et la signification du monde. Mais c’est entre lui et Levinas qu’il faut chercher les connections qui s’établissent autour de l’idée de l’éthique ininterrompue, doublée d’une fraternité et d’un sens du sacrifice pour l’autre. Bien qu’appelé par le Général de Gaulle, Pierre Mendès-France ne bénéficie d’aucune indulgence. Malraux se déclare ni mendésiste, ni « néo-quoi-que-ce-soit », il est gaulliste. Il n’en va pas de même de la relation entre Malraux et Manès Sperber.
Arrêtons-nous un instant sur ce chapitre. Sperber, natif d’un shtetl de Galicie orientale où il a suivi un enseignement religieux au Héder puis à la Yeshiva, découvre à seize ans l’œuvre du psychologue Alfred Adler. A Vienne, il adhère à l’Hashomer Hatzaïr. A Berlin, il devient membre du parti communiste. Arrêté par les nazis en 1933, il est libéré de prison.
En septembre 1934, rue du Bac, il fait la connaissance de Clara et André Malraux, comme lui anti-fascistes. Dialogue et échanges épistolaires ont émaillé des années de leur amitié. Michaël de Saint-Cheron considère « que dans le dialogue que Malraux entretint avec le peuple juif tout au long de son existence et plus encore après la guerre, le rôle de Manès Sperber apparaît central ». C’est encore Michaël de Saint-Cheron qui, évoquant Claude Vigée, décrit le rapport complexe entre Malraux et Israël. « Les Israéliens ne continuent pas les Israélites , ils les métamorphosent ». Les paroles sont de Malraux qui, malgré l’élan qui le poussait vers l’Etat hébreu, a choisi le silence après les propos du Général du 27 novembre 1967 (ndlr : vingt ans après le vote de l’ONU proclamant l’Etat d’Israël).

Malraux est cet éternel révolté, cet authentiqué indigné lorsqu’il lance, en 1971, un appel pour la constitution d’une Brigade internationale pour le Bangladesh. Bernard-Henry Lévy rappelle le combattant pathétique habité par un « donquichottisme » à toute épreuve.
Qui sont alors ses supporteurs face à la tragédie de « neuf millions de malheureux agonisants », si ce n’est ses proches, Sophie de Vilmorin et Brigitte Friang, bien entendu Indira Gandhi mais également un tout jeune normalien Bernard-Henri Lévy. La rencontre entre le Maître et l’élève sera fondamentale dans l’action et la réflexion du futur philosophe :

« Bref, André Malraux a tout vu. Il a senti le caractère séminal de cette guerre du Bangladesh pour toutes les guerres modernes et post-modernes ».

Dès lors on comprend BHL dans son implication contre le dictateur libyen. Il est à noter que c’est autour de Malraux et de son combat pour le Bangladesh que Bernard-Henri Lévyet Michaël de Saint-Cheron se sont rencontrés et des années plus tard se retrouvent au sein du même corpus.