À ma naissance, je pèse trois kilos et demi. Os compris.
À trois ans, première tranche de jambon.
À dix ans, je commence à couper mon jambon moi-même.
À quatorze ans, au lendemain de la Libération, retour du gigot dominical.
À seize ans, j’arbore une côtelette sur chaque joue.
À dix-huit ans, je m’avise que si le steak est parfois plus tendre que la demoiselle qu’on a invitée à le partager, la chair est de plus en plus faible.
À vingt ans, je me nourris de viande crue, arrosée d’un beurre d’escargot.
À vingt-deux ans, je mange de la viande deux fois par jour. Tout mon salaire de jeune journaliste y passe.
À trente ans, je découvre l’inégalité des chances devant la côte de boeuf.
À trente-cinq ans, après une boutade imputée à de Gaulle, je cesse de manger du veau de peur d’être accusé de cannibalisme.
À quarante ans, préférant le tournedos au Requiem, je place Rossini avant Mozart.
À cinquante ans, je m’avise qu’une brochette peut passer de l’assiette à la boutonnière.
À soixante ans, je suis capable de citer de mémoire tous les « morceaux du boucher ».
À partir de quatre-vingts ans, je suis moins carnivore, mais je résiste à la tentation de devenir un légume.