Louis-Georges Tin, en tant que President du Comité IDAHO, vous participiez ce samedi à un rassemblement pour les droits homosexuels à Moscou. La manifestation a mal tourné, pouvez-nous en dire plus ?

Depuis 2006, la Gay Pride de Moscou est régulièrement interdite par les autorités, attaquée par les néo-nazis, et les militants homosexuels finissent au poste. Mais en octobre 2010, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la Russie qui, en interdisant ces manifestations, a violé non seulement le droit européen, mais la constitution russe elle-même, qui garantit officiellement le droit de manifestation pacifique. Or cette année encore, les autorités russes ont à nouveau interdit la Pride, et les manifestants ont été attaqués par les néo-nazis et arrêtés par la police, à moins que ce ne soit l’inverse – on ne sait plus très bien qui est qui dans cette affaire… C’est dire que la Russie n’est pas seulement un État voyou, c’est un voyou récidiviste.

C’est officiellement pour vous protéger des néo-nazis venus en découdre avec les manifestants que la police moscovite vous a enfermé… Pourtant les activistes néo-nazis n’ont, eux, jamais été inquiétés…

En effet, la thèse officielle des autorités de Moscou consiste à dire que la police nous a arrêtés pour nous protéger des néo-nazis, lesquels, vous avez raison, n’ont jamais été inquiétés depuis 2006. Or les images montrent que nous avons été arrêtés à la fois par la police et par les néo-nazis, travaillant de concert. Par ailleurs, j’ai été conduit manu militari au fourgon, et placé, à l’intérieur de ce fourgon, dans une cellule disciplinaire, une sorte de placard de 60cm x 60cm, sans air pratiquement et sans lumière, dans une chaleur suffocante, tandis que les policiers m’insultaient en russe et en anglais, « Fucking faggot », etc. Tout cela, était-ce vraiment pour me protéger ?

Vous vous êtes rendu plusieurs fois à Moscou ces dernières années pour soutenir les mouvements LGBT locaux. Sentez-vous une quelconque amélioration de la situation au fil des années ? Comment vit-on sa condition d’homosexuel en 2011 en Russie ?

Louis-Georges Tin
Louis-Georges Tin

Je me suis rendu 5 fois à Moscou pour la Pride, en effet. Et je puis mesurer le changement. Jusqu’alors, les homosexuels n’existaient pas. Ils n’avaient aucune visibilité sociale, et vivaient dans une clandestinité forcée. Aujourd’hui, avec la Pride, ils sont évidemment visibles. La couverture médiatique de l’événement est très importante, en Russie comme dans le reste du monde, et même les médias favorables au régime mettent en cause cette année les groupuscules néo-nazis et l’attitude de la police. Ils se rendent compte de l’image désastreuse que ces incidents honteux donnent de leur pays, et ils se demandent au fond pourquoi on ne laisse pas tranquilles ces manifestants pacifiques, qui ne font de mal à personne… Cela dit, si la presse est aujourd’hui plus favrorable, la situation des homosexuels demeure très préoccupante, et ils vivent au quotidien dans un contexte violemment homophobe.

En dépit des risques, comptez-vous vous rendre à Moscou l’année prochaine ?

Si Nicolas Alexeyev, président de Gayrussia, et vice-président du Comité IDAHO que je préside, me le demande, très certainement ! Car les militants sur place nous disent à quel point notre présence est précieuse pour eux. Pas seulement pour leur donner un peu plus de courage, mais aussi pour que la presse internationale parle des violations des droits de l’homme, qui sont leur quotidien depuis tant d’années. La présence de figures internationales permet d’accroître la couverture médiatique et, partant, la pression politique sur le régime de Moscou.

Outre la situation en Russie, pouvez-vous nous dire un mot des autres actions entreprises par le comité IDAHO à travers le monde ?

Au niveau international, le Comité IDAHO promeut la Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, qui est célébrée chaque année, le 17 mai, dans plus de 70 pays à travers le monde. Nous avons fait avancer la lutte contre l’homophobie et la transphobie de manière significative à l’ONU, à l’OMS, à l’UNESCO, à l’OIT, mais notre campagne principale consiste à oeuvrer en faveur de la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Nous avions lancé un appel en ce sens en 2006, signé par plusieurs Prix Nobel comme Desmond Tutu, Amartya Sen, Dario Fo, Elfriede Jelinek, José Saramago, par des artistes et intellectuels de renom, comme Merryl Streep, Elton John, Noam Chomsky, Bernard-Henri Lévy, etc. Cette campagne a abouti à la déclaration du 18 décembre 2008 que nous avons portée, avec Rama Yade, à l’Assemblée générale des Nations Unies. Ce fut une première historique. Mais nous devons désormais passer à un texte plus contraignant, c’est-à-dire à une résolution. Aujourd’hui encore, plus de 80 pays pénalisent l’homosexualité, dont plusieurs, qui appliquent la peine de mort aux personnes homosexuelles. Sans surprise, on y retrouve l’Iran, l’Arabie Saoudite, le Yémen, l’Afghanistan, la Mauritanie, le Soudan, etc. Autant de pays où l’on s’inspire de la Shariah…