On peut tout entendre et tout débattre mais sûrement pas se féliciter comme le fait Marc Weitzmann dans son article « L’intellectuel engagé, une maladie française » de l’absence, justement, de pensée éclairée et éclairante. Les intellectuels ont une utilité et une nécessité dans notre monde. Ils sont une composante unique de la société française. Ils sont enviés partout où le débat citoyen est vif. Aussi, lorsque je lis « Entre la littérature et le pouvoir il existe en France un long mariage d’amour qui n’est pas à mettre au crédit de ce pays », je bondis !

Les Lumières, Zola, Sartre, Malraux, Camus, la Nouvelle Philosophie : tout cela, pour vous, M. Weitzmann, n’a jamais compté ou, pire, relève de la maladie ? L’impertinence de Voltaire, son combat pour Calas ? Rien ! Le génie précoce de La Boetie s’élevant contre les mécanismes de la servitude ? Connaîs pas ! Les fables infiniment politiques de Jean de la Fontaine, les pièces aux messages forts de Molière ? Toujours rien ? Bien… Alors, dans ce cas, votre cas est désespérant, désespérant et désespéré, trahison des clercs et des plumes, absolu résigné.

Vous dites que l’action de notre Littérature ne serait pas à mettre au crédit national et je m’interroge. De la part d’adversaires, nous pouvons entendre nombre d’inepties. Mais au moins, eux comme nous luttons idéal contre idéal, projet contre projet, les uns cherchant à changer dramatiquement le monde, les autres à le réparer dans un élan tiqquniste. Mais vous ? Rien… Comme il en faut de la mélancolie pour arriver à ce constat. Comme il faut être découragé, lassé de tout, fatigué par la vie et ses rebondissements, pour écrire, donc, que l’intellectuel engagé est une maladie de notre pays !

Faisons œuvre utile : si vous cherchez une juste cause a défendre, plutôt que de lutter contre l’intelligence, je vous propose pêle-mêle : le chômage et toutes les précarités, les inégalités hommes-femmes, la montée du racisme, l’intégrisme religieux, la destruction de l’environnement, la faim dans le monde, les guerres oubliées, le Sida et peut-être même les écrivains qui écrivent n’importe-quoi !

Je vous le dis franchement : si votre tribune n’était qu’un acte isolé, si elle n’était qu’une regrettable erreur de parcours, il faudrait laisser courir. Mais elle n’est qu’une redite affligeante de propos déjà énoncés et ne constitue donc pas une surprise. Dans une interview accordée au mensuel Transfuge, Septembre 2010 (disponible sur votre site), on lit : « […] les romanciers ne sont pas là pour exprimer des convictions-réacs ou progressistes. Ils sont là pour fouiller leur poubelle intime, en tirer des équations existentielles si possible universelles, et les pousser à incandescence par l’imagination. » Votre forme est jolie, votre fond est accablant. Vous avez, on commence à le comprendre, une véritable aversion pour vos homologues faisant le choix de l’engagement. Dans Libération, vous poursuivez en établissant une différence entre le Saint-Germain historique et celui que vous identifiez actuellement, supposément très puissant… Vous écrivez : « Nous ne sommes plus dans le folklore ni dans le temps des débats aussi émouvants qu’impuissants sur ce qu’il conviendrait de faire pour changer le monde – et l’aspect à la fois touchant et odieux de ces débats tenait surtout à leur absence d’effets. » Je ne voudrais pas être déplaisant ; à tout juste vingt-quatre ans je trouverais ça rude de vous donner une leçon ! Mais enfin si vous pensez sérieusement que Sartre, ses amis et ses ennemis n’ont en rien contribué à forger les mentalités de leur époque, eh bien vous n’avez assurément ni lu, ni, sans doute, vraiment vécu. Le déroulement de la guerre d’Algérie et ses suites, Mai 68, l’avènement d’une société plus libre, l’antiracisme, le féminisme, la Gauche au pouvoir, le retour de la Droite, le déclin français, tous ces évènements trouvent leurs origines profondes dans la pensée de quelques intellectuels défendant coûte que coûte une vision du monde. Immanquablement se sont-ils parfois et même lourdement, dans un sens ou dans un autre, trompés. Ils se sont trompés mais au moins essayèrent-ils (ce qu’à l’évidence vous ne faites plus ! )

« La vie intellectuelle de St-Germain-des-Prés a désormais sur le cours des choses mondiales une influence réelle » : vous le déplorez, je m’en félicite. J’entre dans le grand bain germanopratin à l’heure ou celui-ci, trop rarement à mon gout, commence à se réanimer. Sartre, Camus, Aron, Malraux ont disparu. La jeune garde peine à se faire entendre. Il n’y a finalement qu’une poignée d’illustres qui tentent, inlassablement, de faire œuvre de vérité. La faute aux tristes sires de votre espèce qui nous expliquent, tels des Mathusalem aussi précoces que décourageants, comment tout a déjà été essayé et surtout combien il ne sert à rien de tout repenser.

Fin de l’Histoire ? Surement pas ! N’est pas dépassé celui qui s’engage en voulant changer le cours des choses. Prenez Barack Obama et son triomphe improbable. Relisez donc les slogans qu’il lançait a la foule alors qu’il faisait campagne : Progress, Hope et Change. Finalement, ce sont les mêmes devises que celles portées par l’intellectuel engagé. La suite, vous la connaissez ! Obama, en gagnant, a fait progresser son pays. Sa victoire, celle de l’intelligence mais aussi du volontarisme, a constitué un évènement. Mais au fait, Barack Obama, qui, en France, a été le premier a nous le presenter ? N’est-ce pas Bernard-Henri Levy, un de ces intellectuels français que vous prenez plaisir à décrier ?

 

6 Commentaires

  1. Je ne comprends pas la critique que vous faites de la citation de Weitzmann qui, excusez moi de vous le dire, est très évidemment juste. En clair, il dit que les romanciers sont là pour écrire des romans… Il n’y a qu’à lire les tristes merdes pondues par Sartre et Beauvoir, qu’à gémir devant leur platitude et leur pauvreté, leur manque de chair, leur ennui enfin, pour comprendre ce que c’est qu’un type qui écrit un roman pour défendre des idées. Meme la Peste apparait aujourd’hui pour ce qu’elle est: un pensum, avec des personnages fadasses et sans consistance. Tout sauf un roman, donc. Que l’intellectuel engagé reste à sa place et ponde des essais, et au nom des lecteurs et de leur appétit pour la chair et le sang, pour l’expérience nue dont part tout engagement et avant cela le besoin de toute philosophie, saluons le romancier qui fait son boulot!

  2. Ce n’est pas la figure de l’intellectuel engagé qu’il faut faire dégager. C’est le gauchisme, cette maladie infantile du communisme telle que la qualifiait Lenine, qui globalement, le contamine. L’idée que l’intelligence non seulement ne sera aperçue qu’à bâbord, mais comme par miracle, qu’elle en émergerait naturellement. Il n’y aurait en somme qu’à se tourner du bon côté, et le monde serait sauvé. Autre petite abomination du genre, ce phénomène de meute par lequel l’ennemi de mon ennemi serait identifié comme compagnon d’armes avant même que ma truffe en ait approché le fondement. À ce compte-là, Sarkozy se ferait rimer le nazi et Ben Laden, l’éden. Enfin, cette tendance, très française, à lécher le premier avant d’être mordu par ceux qui mordent les premiers de crainte qu’on veuille les mordre. Par exemple, au lieu de rentrer dans le lard d’une larve post-pétainiste, feindre d’avoir décelé dans ses humeurs un trait d’humour qu’« on » aurait pas compris, auquel s’associer immédiatement, avant de se voir entraîner vers le clash avec l’abcès de sa fixation. L’attitude étonnamment complaisante de madame Élisabeth Lévy face à l’une de ces larves, prouve combien cette culture de la soumission n’épargne pas même ceux qui cherchent à reproduire la geste des insoumis.

  3. Quelle est la fonction des intellectuels ? La transmission de l’héritage culturel ou la transmission de ce que les autres ne disent pas (Umberto Eco) ? Et si c’était ce combat sans merci, érigé à philosophie, contre l’indifférence, l’apathie, la lâcheté, l’enlisement dans une non-vie, vécue dans la banalité du mal et de ses conséquences, terreurs, massacres, génocides, horreurs, barbaries, contre lesquels nous ne pouvons rien parce que nous ne voulons rien ? Sartre, à gauche, Malraux, à droite ne seront rien pour nous sans que nous-mêmes ne relevions ce défi qui à tout instant nous incombe : la lutte contre le fascisme de l’âme. « L’horreur étant ce qu’elle est, au nom de quoi les hommes peuvent-ils, ici, maintenant, concrètement, s’y opposer et la refuser » se questionnait BHL dans « Le Testament de Dieu » ? Par amour du droit et la haine de la tyrannie, fut sa réponse il y a encore quelques jours dans son article « Pourquoi Israël ne doit pas avoir peur du printemps arabe ». C’est par cet amour et cette révolte de l’être que des milliers et milliers de vies innocentes furent épargnées, sauvées d’un massacre annoncé qui état sur le point de s’accomplir.

  4. Mon impulsion première est d’applaudir, de vous dire « Bravo » ! … Bravo pour cet argumentaire ciselé, juste et courageux. J’adhère pleinement, et suis fier et heureux qu’enfin on puisse (re)voir des « intellectuels » tenter, et même réussir à pétrir le réel, notre réel commun, avec leurs mains, avec leur corps, avec leur sueur et leur courage : cat leur pensée, et donc leur parole, ainsi s’incarne ! …