Article originellement paru dans Libération.

Il y a trois semaines, l’écrivain et réalisateur Claude Lanzmann signait l’appel à une intervention en Libye lancé par un groupe d’intellectuels (dont Bernard-Henri Lévy) avant de changer d’avis.

Claude Lanzmann, ce loup solitaire, directeur des Temps modernes, semblait, depuis quelque temps déjà, s’enfermer dans une amertume étrange, pourfendant, sur les terres qu’il s’attribue en propre, tout ce qui s’énonce sans son imprimatur. Yannick Haenel, qui interpréta librement la tragédie du résistant polonais Karski révélant, en vain aux yeux du romancier, l’existence de la Shoah à Roosevelt, en sait quelque chose. Notre procureur vient de franchir un pas de plus (Le Monde, 17-18 avril : Libye, rhéteurs et décideurs) en s’élevant contre l’intervention en faveur de la Libye libre… qu’il avait, avec d’autres, appelée de ses vœux.

La raison de cette palinodie ? Le fait que les forts que nous sommes se porteraient au secours d’un trop faible, qu’il y aurait enlisement, et que tout cela serait le produit de quelques « rhéteurs fulminants » (suivez mon regard) qui auraient soutenu (pure invention) que quelques frappes aériennes suffiraient. Le comble de l’arrogance rhétorique, « c’est que leur seule voix ait rallié le consentement actif des gouvernements et des États, les entraînant dans une guerre sans nom, à l’issue très incertaine.»

Il est piquant de voir Lanzmann déplorer un reste d’influence des intellectuels sur les politiques, lui qui a signé un texte les appelant à intervenir en Libye, ce qu’ils firent, leur en fait grief trois semaines après !

Trois semaines, c’est trop. Qu’allons-nous faire avec des quidams qui ne l’emportent pas dans les temps impartis (par qui ? lui-même ? et est-ce la faute des combattants libyens si l’option aérienne des Occidentaux n’y suffit pas ?) Peu importe ! Ces néophytes, dépourvus de blindés, d’artillerie, et la constitution d’une armée prenant du temps, que ne sommes-nous restés l’arme au pied ! Les « chebabs » libyens étant définitivement des bras cassés, laissons-les à leur témérité brouillonne (et tant pis si les chars de Kadhafi les écrasent aux portes de Benghazi) !

Le même homme qui fut jeune résistant, signa le Manifeste des 121 en faveur de l’insurrection algérienne et vante la ténacité d’Israël face à ses voisins, se gausse, étrangement oublieux de lui-même, de ces civils libyens qui n’avaient jamais manié une arme et rallient les fronts en masse. Faute de pratique (qu’on se rassure : ils l’acquièrent sur le tas ; au prix du sang), devraient-ils attendre, bras croisés, le châtiment de Kadhafi ? Face au déluge adverse, se replient-ils à Ajdabiya ? « Poudre d’escampette » tonne Lanzmann. Faut-il leur venir davantage en aide ? N’y pensons pas ! Kadhafi contre-attaque ? Arrêtons les frais !

Nous nous souviendrons d’un autre Lanzmann que l’homme qui vient de renier une part de lui-même, rejoignant (par dépit, oubli de ses combats d’antan ?) les Ponce Pilate, les munichois et les non-interventionnistes de toujours.

On eût aimé que le Lièvre de Patagonie soutînt ces nouveaux Rats du Désert que sont dans l’âme, à l’instar des Français Libres de Leclerc, les combattants libyens. C’est non, et on en a le cœur serré.

Tchao Lanzmann.

Gilles Hertzog

Directeur de la publication de la revue La Règle du Jeu

4 Commentaires

  1. Je trouve la position de Gilles Hertzog trop dure.
    Accuser quelqu’un de se renier est offensant. Et il est évident que toute initiative militaire
    mérite discussion et surement des avis divers sont légitimes. L’expérience désastreuse des intellectuels qui avaient essayé d’influencer le cours de la guerre civile espagnole devrait
    prêter à prudence. Il est possible que l’intellectuel se doive
    d’être plus proche du « peuple » ( j’aime pas le mot « peuple » ) ( « éviter que le peuple ne
    devienne masse ») que du Prince.

  2. Juste pour memoire la guerre d’independance de l’Etat d’Israel commenca le 15 mai 1948 et se termina avec les différents cessez-le-feu israélo-arabes, entre février et juillet 1949.
    Si a l’ epoque les supporters d’Israel avaient la meme attitude que certains aujourd’hui , le resultat aurait pu etre aussi mis en question, les revolutions comme les guerres d’independances ne se juge pas sur CNN ou Fox a l’instantanee, mais sur leur finalite historique.
    En attendant la victoire des optimistes , il faut tout faire pour soutenir cette chance historique et que la tyrannie barbaric du criminel Kadahfi disparaisse.