L’invitation de Marine Le Pen sur une radio juive n’est peut-être que partie remise. Elle aurait lieu d’ici à la présidentielle de 2012. « Cette interview de fond et que je voudrais intransigeante », explique le journaliste qui devait la conduire, serait devenue possible « après ses déclarations au Point, où elle qualifiait la Shoah de « summum de la barbarie ». Elle aurait pour objectif de déterminer si « son évolution est une posture opportuniste » ou s’il s’agit « d’un réel aggiornamento à la Gianfranco Fini? ». Ces explications appellent deux remarques. La première est que la présidente du Front national n’a jamais évoqué la Shoah. La seconde est que quiconque connaît la vie politique italienne sait que la comparaison entre Marine Le Pen et le président de la Chambre des députés à Rome n’a pas lieu d’être.

Sur la question de la Shoah, Marine Le Pen n’est pas son père : elle n’est ni antisémite ni négationniste, de toute évidence. Cependant reportons-nous à son interview publiée par l’hebdomadaire Le Point le 3 février 2011. Son titre est : « Les camps ont été le summum de la barbarie ». Marine Le Pen déclare exactement : « Tout le monde sait ce qui s’est passé dans les camps et dans quelles conditions. Ce qui s’y est passé est le summum de la barbarie ». Ce qui s’y est passé précisément, elle ne le dit pas. A supposer qu’elle ne veuille pas utiliser le mot « Shoah », elle aurait pu parler de « l’extermination des juifs dans les camps nazis », cette phrase aurait été sans ambiguité. En ne le faisant pas, elle perd une occasion de nommer la singularité du génocide des Juifs. Elle commet d’autre part l’erreur d’utiliser le vocable ambigu de « camps », qui peuvent être de concentration ou d’extermination. Elle admet qu’il s’y déroula « le summum de la barbarie » mais elle n’énonce pas en quoi celle-ci a consisté. Ces choses ne sont pas mineures s’agissant d’un parti dont nombre de cadres ont ouvertement adopté les thèses de la secte négationniste, à commencer par deux de ses fondateurs, François Duprat et François Brigneau.

Pour être précis, c’est le journaliste du Point qui, dans une question, utilise le terme « Shoah ». Il lui demande exactement si elle est « agacée » par « ceux qui font preuve d’ambiguïté sur la Shoah ». La réponse est qu’ils « l’agacent au plus haut point ». Pourquoi cette retenue ? Qu’est-ce qui « bloque » encore, dans la vision du monde frontiste, pour que Marine Le Pen n’appelle pas les négationnistes par leur nom, ne dise pas que ce sont des antisémites qui nient la réalité historique d’un fait évident. Pour qu’elle dise enfin qu’ils la révulsent, que leurs théories sont stupides et qu’elle ne veut plus d’eux au sein du parti qu’elle dirige ?

La réponse est sans doute que le FN est toujours au milieu du gué sur ces questions. En Italie après la mutation du MSI néo-fasciste en 1995, Fini s’est séparé des nostalgiques, il a payé le prix politique de son évolution. Marine Le Pen n’a toujours pas fait ce travail, qu’elle ne le veuille pas ou qu’elle ne le puisse pas (pas encore ?). Toute interview à venir qui se veut intransigeante pourrait donc évoquer les faits suivants :

Bruno Gollnisch, qui est toujours membre du bureau politique et Hugues Petit, qui était encore en 2010 président du Conseil scientifique du Front National, ont signé la pétition pour l’abrogation de la loi Gayssot et la libération du négationniste Vincent Reynouard [1]. On peut, c’est un choix philosophique, vouloir l’abrogation des lois mémorielles. On ne peut associer à cette demande celle de libérer avant qu’il ait purgé sa peine un négationniste condamné par les tribunaux.

L’élection de Marine Le Pen à la présidence du FN a donné lieu à quelques départs individuels mais les éléments nationalistes radicaux y militent toujours. Ainsi le FN présente aux élections cantonales un candidat pour qui les Protocoles des sages de Sion sont « prémonitoires »[2] (Yvan Benedetti, membre du comité central, candidat dans le Rhône) ?

Marine Le Pen devrait dire si, comme son père l’affirme dans l’hebdomadaire VSD la semaine passée, elle croit que François Duprat, mort dans un attentat non élucidé en 1978, a  pu être éliminé par le Mossad en raison de ses écrits niant la Shoah. Que pense-t-elle des propos de son père qui décrit Duprat comme étant au FN « une sorte de vice-président sans responsabilités particulières » ?

Thierry Maillard, pour le coup « mariniste » déclaré et candidat aux cantonales dans la Marne, écrit que « plusieurs aspects du Francisme trouvent leur place dans l’originalité du Front National »[3]. Or le Francisme était un mouvement collaborationniste, dont le chef Marcel Bucard a été fusillé le 19 mars 1946. Quels sont les aspects qui sont communs aux deux mouvements ?

Voyons maintenant l’étrange manie qui consiste, de ce côté des Alpes, à se convaincre que peut-être, Marine Le Pen serait une sorte de Gianfranco Fini français. Pour que cela soit vrai, il faudrait au minimum que la présidente du FN fasse des déclarations équivalentes à celles du dirigeant de l’ancien mouvement néo-fasciste italien, aujourd’hui à la tête du parti Futuro e Liberta per l’Italia. Qu’à dit Fini, lors de son voyage en Israël en 2003 ? Que le fascisme fût le « mal absolu » du siècle dernier : le fascisme dans son entier, pas seulement les camps. Que le régime de Mussolini fût « un chapitre honteux de l’Histoire de notre peuple » : on attend la même phrase sur Vichy. Rappelons également qu’en 2008, Fini a déclaré à propos des lois antisémites italiennes de 1938 : « Il faut se demander pourquoi la société italienne s’est conformée dans son ensemble aux lois contre les Juifs et pourquoi, à part de rares exceptions, il n’y a eu aucune manifestation particulière de résistance. Même pas, et cela me fait mal de le dire, de la part de l’Église catholique. Concluons avec cette citation de Fini, parlant le 27 janvier 2011 au musée de la Shoah à Rome:  »Le fondement nécessairement éthique de l’action politique prend la forme, dans la tradition de la culture politique juive, comme le résultat d’une tension constante de médiation entre la Torah et la «polis» ». Insister davantage sur la dissemblance entre les deux discours serait cruel, et on ne peut jamais préjuger de l’avenir. Insister davantage sur la myopie de tous ceux qui se persuadent que le Front national marche dans les pas de Fini serait plus cruel encore…

 


[1] Sans doute fidèle de la tendance psychiatrique de l’antisionisme/antisémitisme contemporain, l’initiateur de cette pétition, Paul-Eric Blanrue, vient de confirmer sa conversion à l’islam en expliquant : « Comme ce qui s’est passé au Liban entre le secrétaire général du Hezbollah, Sayyed Hassan Nasrallah, et le président du Courant patriotique libre, le général Michel Aoun, il faut faire une alliance stratégique rapprochant cathos et musulmans. C’est ce que les sionistes redoutent le plus »

[2] éditorial dans le journal Droite ligne, juin 2011. Citation : « Tout comme la suppression des frontières et des monnaies nationales, l’immigration massive et le métissage ont été annoncés dans un livre prémonitoire publié en 1905, les Protocoles des sages de Sion ».

[3] Cf. Un modèle national révolutionnaire oublié : Marcel Bucard, voxnr.com, 6 septembre 2002