Ce mardi 22 mars, à l’Hôtel Raphaël, à Paris, avait lieu une rencontre entre des représentants du Conseil National de Transition (CNT) libyen et une centaine de penseurs, écrivains et journalistes réunis autour de Bernard-Henri Lévy. Deux heures et demie d’intense questionnement autour de la situation actuelle en Libye, l’opportunité de recueillir les dernières nouvelles du front de Benghazi et l’occasion, surtout, d’en savoir plus sur ceux que la France et ses alliés soutiennent désormais militairement.

19h00. Les premières paroles des deux porte-paroles du Conseil National de Transition prennent la forme de remerciements. Remerciements à la France de Sarkozy dans un premier temps, cette « France grandiose, berceau de la démocratie moderne et des Droits de l’Homme qui se trouve aujourd’hui célébrée partout en Libye libérée ». Remerciements aussi à Bernard-Henri Lévy qui nous rejoue, dix ans après, un peu du scénario bosniaque en court-circuitant un Quai d’Orsay d’abord peu réactif pour finalement le mettre face à ses responsabilités et le forcer à agir. On appelle cela la diplomatie corsaire. Cette diplomatie-là bouscule le petit monde policé des relations internationales pour revenir aux fondamentaux : les idées, les idéaux ! C’est bien une certaine idée de la France qui revivait lorsque Ali Zeidan et Mansour Saif al-Nasr exprimaient leur immense gratitude. Rien de feint donc dans les mots des représentants de la Libye nouvelle. Si ceux-ci imaginent désormais, optimistes, une finalité favorable à leur action, c’est bien du fait de l’action concertée de la France, de la Grande-Bretagne, des États-Unis et de leurs soutiens.

Très vite, on entre dans le vif du sujet. Qu’est-ce que le Conseil National de Transition (CNT) et quelle est sa nature profonde demandent plusieurs journalistes présents dans la salle ? Il s’agit d’un organe formé à la suite de la libération des villes de l’Est libyen regroupant trente et un membres. Toutes les régions de la Libye sont représentées. On apprend au fil des questions que des femmes et des jeunes ont intégré cet organe nouveau composé d’opposants au régime de Kadhafi. Le CNT a lieu d’être jusqu’à la libération totale du territoire libyen et l’écriture d’une Constitution amenant à la Démocratie. Tout de suite, une information à considérer : la composition du CNT n’est pas connue dans son intégralité car quelques-uns de ses membres vivent dans les villes de l’Est, région qui demeure sous contrôle des forces loyalistes. Pour des raisons évidentes de sécurité, ces membres-ci du CNT ne peuvent s’afficher au grand jour. Il n’en demeure pas moins que l’information revêt un double intérêt : elle signifie d’abord qu’à l’intérieur des villes prétendument sous contrôle de Kadhafi, la protestation s’organise. Elle nous apprend ensuite combien le tribalisme libyen partout évoqué dans nos médias connaît ses heureuses limites. Les deux hommes confirment d’ailleurs que le caractère divisé et hautement tribal de la Libye est exagéré : « les villes libérées tiennent à ce que Tripoli demeure la capitale de leur État libre, elles ressortent toutes, dans un même élan unitaire, l’ancien drapeau libyen ».

 

Mansour Saif al-Nasr et Ali Zeidan entourés, entre autres, par Gilles Hertzog et Bernard-Henri Lévy, le 22 mars 2011 à Paris.
Mansour Saif al-Nasr et Ali Zeidan entourés, entre autres, par Gilles Hertzog et Bernard-Henri Lévy, le 22 mars 2011 à Paris.

19h30. Les échanges vont bon train et Jacky Mamou, Président d’Urgence Darfour, prend la parole pour évoquer le sort de ces populations d’Afrique noire venues chercher du travail en Libye et parfois confondues avec des mercenaires kadhafiens. Les membres du CNT alors présents promettent d’intensifier leurs efforts pour qu’il n’y ait plus de dérapages possibles. Ils précisent également que la grande majorité des ressortissants des États voisins de la Lybie ont été rapatriés. On revient ensuite sur ces épouvantails agités par Kadhafi pour menacer les Européens. D’abord le mythe d’une Libye comme dernier rempart contre une immigration massive et submergeante. « Tout cela est une supercherie » indiquent d’une seule voix les émissaires de la Libye nouvelle : « l’immigration clandestine est en fait organisée par les proches de Kadhafi qui mettent en place des systèmes illégaux de circulation des migrants, utilisent la misère humaine et la transforment en rentrée d’argent. C’est un chantage fait aux européens, une construction tout à fait artificielle ». On parle ensuite du mythe d’opposants et membres du CNT prétendument proches d’Al-Qaïda. « L’accusation fait sourire ! Hier Kadhafi disait être un rempart contre le terrorisme, aujourd’hui il promet de faire appel à Al-Qaïda pour renverser la rébellion ! Ce discours n’a aucun sens ». Les émissaires du CNT poursuivent : « les membres du Conseil National de Transition sont des avocats, des médecins, des cadres et des professeurs d’Université. Ils ont été bien formés, sont laïcs et peuvent, avec le concours des libyens de l’étranger, reconstruire une Libye saine et démocratique. »

20h. Au fil de la discussion, ce qui étonne le plus est bien l’extraordinaire confiance des membres du CNT en une victoire rapide sur Kadhafi et ses partisans. Pour les opposants, la prise de contrôle sur tout le territoire libyen pourrait se réaliser « en une dizaine de jours, quelques semaines tout au plus, à condition que la coalition poursuive son action sans lever le pied ». « Nous sommes prêts à reconquérir le pouvoir » disent-ils. « Nous avons déjà effectué un travail remarquable à l’Est malgré l’utilisation de l’aviation par Kadhafi. Les insurgés peuvent battre les hommes de Kadhafi car le peuple est assoiffé de liberté. Ce peuple est fatigué par quarante deux années de dictature. Il veut impérativement passer à autre chose. Jamais plus nous n’accepterons le manque de démocratie, les mandats à vie, la prise de pouvoir en dehors du cadre des élections ».
Par la suite, les émissaires de la Libye nouvelle nous livrent des nouvelles du front : sur le terrain, le recul des forces de Kadhafi se mesure nettement et l’on parle d’un impact résolument positif des frappes aériennes.

20h30. Double question de Bernard Kouchner : Faut-il une aide terrestre ? Les termes de la résolution des Nations Unies ne sont-ils pas trop limitants ? Pour les deux hommes une intervention militaire terrestre extérieure ne sera pas nécessaire si la coalition poursuit ses objectifs de neutralisation des forces loyalistes par les airs. « Par contre il faut donner aux insurgés des armes pour poursuivre le combat ». L’assistance s’interroge alors sur la création de brigades internationales pour la Libye. Les membres du CNT envisagent l’hypothèse d’un soutien de citoyens arabes sur le terrain, évoquent l’impossibilité d’une implication égyptienne due aux impératifs de reconstruction nationale au Caire. Quid de la Ligue Arabe demandent quelques voix dans l’assistance ? Son soutien est d’abord moral rétorque Zeidan. L’implication des pays du Golfe dans les domaines politiques et humanitaires est à souligner, notamment celle du Qatar qui joue un rôle moteur dans l’accélération de l’Histoire libyenne.

21h00. La discussion est animée, Yann Moix s’intéresse aux différents scenarii de chute du dictateur libyen. Va-t-il se suicider pour s’éviter une fin à la Saddam Hussein? Sera t-il assassiné ? Va t-il entraîner son peuple dans sa chute ? Les membres du CNT laissent cette interrogation en suspens. Leur souhait est surtout de « retrouver Kadhafi vivant pour qu’il soit jugé par les libyens et poursuivi pour crime contre l’humanité ». Les émissaires de la Libye nouvelle reviennent alors sur tout le mal fait par Kadhafi à son pays, autant sur le plan interne (ils citent notamment l’exécution de 1200 prisonniers politiques) qu’à l’international (ils rappellent le tort causé par l’utilisation du terrorisme d’État pendant de longues années par le colonel Kadhafi).
Sur les coups de 21h30 et la triple promesse d’une Libye libre, démocratique et laïque s’achève la rencontre avec les deux hommes qui doivent s’en retourner, très vite, vers le théâtre des affrontements.

4 Commentaires

  1. Bravo a La RDJ.
    Seulement une question, vous êtes une revue littéraire qui a fait des manifestations pour Sakineh et qui maintenant soutient les Libyens…
    Ce n’est pas plutôt un site d’engagements qu’un site littéraire?

  2. Personne n’a demandé pourquoi le CNT arbore le drapeau pro-colonial du roi Idriss ?
    Ce serait pourtant intéressant de connaître les motivations de ce choix.
    Et je soupçonne le CNT d’avoir donné des assurances à l’Europe que la Libye continuera sa plitique criminelle de complicité avec Frontex, l’agence européenne dont la mission est l’affirmation d’un crime contre l’humanité: empêcher la libre circulation des populations africaines, et ce sur leur propre continent !

  3. Le CNT est dirigé par un transfuge du régime, Moustafa Abdel Jalil, qui se trouve être l’ancien ministre de la justice du colonel Kadhafi. Pendant huit ans cet homme a participé à la plus cynique des prises d’otage effectuées par un Etat, l’affaire dite des “infirmières bulgares”, ces cinq femmes injustement accusés d’avoir inoculé le virus du sida à des enfants libyens. Dans ce conseil, il y a des gens qui ont torturé ces infirmières

  4. monsieur Lévy

    Merci de cette initiative, qui avait lieu d’être face aux incertitudes concernant nos interlocuteurs dans ce conflit et qui balaye, jusqu’à preuve du contraire, les craintes d’une division tribale de la Libye.
    J’aurais aimé que les journalistes sur la chaîne LCI aujourd’hui dont vous étiez l’invité se focalisent plus sur la question libyenne qui nous intéresse plutôt que de conclure l’entretien de façon aussi réductrice et superficielle , inutile et décalée.
    Il me semble nécessaire dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons que la chaîne s’assure de la compétence de ses journalistes que je trouve navrants: c’est ainsi qu’ ils parlent de « migrants » au lieu de « réfugiés », « d’attaques  » quand l’intervention mise en place – où on marche sur des oeufs- nécessiterait des expressions plus neutres, pour ne citer que ces deux impairs…
    Vos avez répondu avec sobriété et simplicité. Cela change des effets de manche et votre communiqué sur ce site éclaire la situation en Libye et me rassure.
    Néanmoins sur le journal espagnol « El pais », j’ai lu aujourd’hui que les insurgés manquaient de vivres et de médicaments et que leur moral baissait.Qu’en est-il concrétement sur ce point?
    Merci de votre engagement.