L’histoire est simple.

Je n’ai pas voté pour Nicolas Sarkozy.

Sauf hypothèse dramatique et, j’espère, improbable où il se retrouverait, au second tour de la prochaine présidentielle, comme Chirac en 2002, face à une Le Pen, je voterais à nouveau contre lui.

Je suis de ceux qui dénoncèrent, il y a trois ans, infirmières bulgares ou pas, la réception en grande pompe, flonflons, tapis rouges, etc., d’un Kadhafi dont on savait déjà qu’il était un psychopathe doublé d’un assassin.

Et je ne parle même pas des Roms, du débat sur l’identité nationale, du braconnage idéologique sur les terres frontistes, je ne parle même pas de tous les sujets, sans nombre, sur lesquels c’est peu de dire que je suis en désaccord avec lui.

Seulement voilà.

Je me trouve en Libye.

J’ai, dans les yeux, l’image de ces insurgés qui n’ont jamais, de leur vie, tenu une arme entre les mains et que l’on voit monter au front où les attendent les mercenaires et les avions d’un régime qui s’est dit prêt à noyer son propre pays dans « des rivières de sang ».

J’ai, dans l’oreille, outre les témoignages des citoyens de Benghazi qui m’ont raconté, pendant cinq jours, l’horreur de ce régime, de ses prisons, de ses centres de torture souterrains, la voix d’Abdul Hafiz Gogha, porte-parole du Conseil national de transition, celle de Mustafa Abdeljeleel, son président, celle de leurs adjoints et commandants, que les atermoiements de la communauté internationale rendent fous de désespoir.

Impuissant devant tant de détresse, j’appelle, à tout hasard, le président de la République de mon pays et lui dis qu’il y a une chose, une déjà, peut-être une seule, qu’une grande démocratie peut faire et qui consisterait à recevoir Abdeljeleell, ou Gogha, ou n’importe lequel de leurs émissaires et à leur dire : « Kadhafi n’est plus digne de représenter votre pays ; vous seuls, représentants de la Commune libre de Benghazi, en avez désormais la légitimité et le droit ».
Et il se trouve que le président de la République a, aussitôt, le juste réflexe – pas le calcul, non, le réflexe, l’un de ces purs réflexes qui font, autant que le calcul ou la tactique, la matière de la politique ; il se trouve qu’il a le même type de réflexe qu’eut François Mitterrand le jour où, dans des circonstances tragiquement semblables, alors que la Bosnie brûlait, je l’appelai de Sarajevo pour lui annoncer que je lui amenais le président bosniaque Izetbegovic ; le président Sarkozy, donc, se trouve avoir le juste réflexe et me répond, au téléphone, qu’il recevra les envoyés de M. Abdeljeleell, à la date de leur choix, et que cette réception vaudra reconnaissance.

L’événement, comme chacun sait désormais, aura lieu, le 10 mars au matin, avec les honneurs, en ce palais de l’Elysée dont je savais qu’il était, pour eux, symbole de démocratie et de droits de l’homme.

Le président de la République, ce jour-là, ne parlera évidemment pas, comme l’ont écrit les commentateurs pressés, d’aller « bombarder la Libye ».
Il ne cessera d’insister, au contraire, sur le fait que la révolution libyenne ne peut être faite que par les Libyens eux-mêmes, et il dira, au passage, son opposition à toute opération menée sous pavillon de l’Otan.

Mais il s’engagera, en revanche, à tout mettre en œuvre pour convaincre ses partenaires d’aider le Conseil national de transition et, à la demande expresse de celui-ci, de neutraliser les avions avec lesquels Kadhafi mitraille les colonnes de la liberté libyennes et, à l’occasion, les manifestants désarmés.

J’ignore, à l’heure où j’écris, ce vendredi 11 mars, 18 heures, si le président français, rejoint par le Premier ministre britannique, saura triompher des arguties juridico-frileuses des uns ou des autres.

J’ignore – et cela, compte tenu de l’enjeu, me paraît, franchement, très secondaire – s’il a, comme le répètent en boucle les maniaques du protocole, mis dans la confidence, ou non, tel ou tel de ses ministres.

Je sais juste qu’à cet instant je suis fier de mon pays – et que cela ne m’était pas souvent arrivé depuis le 16 mai 2007.

Surtout, je prie pour voir la Libye débarrassée, dans les délais les plus brefs, du gang de Néron illettrés qui ont fait main basse sur leur pays et l’ensanglantent, pour l’heure, impunément.

 

8 Commentaires

  1. Monsieur Levy,
    j’ai suivi votre prestation sur canal, et je vous remercie de votre attitude et de votre combat pour le peuple Libyen:
    quelle abnégation de vous impliquer dans un combat pour les peuples arabes, qui sont à la fois, loins et proches de vous, et qui je l’espère, vous en seront reconnaissant.
    Je ne vous appréciai pas, car je ne vous connaissai pas sous ce jour: maintenant la vénération et le respect
    sont les sentiments qui m’anime.
    Je connais bien les peuples arabes vu que j’y suis imbriquée relationnellement, donc j’apprécie de plus
    votre générosité!

  2. Dès que la situation est devenue à tout point scandaleuse et intenable, en contradiction avec les valeurs que porte la France, il était opportun rebrousser chemin, ce qui a fait le Président. Reconnaître le Conseil national de transition comme le seul représentant de la Libye est allé même au delà de tout espoir, elle fut une action forte, lourde aussi pour la suite du mouvement de libération de la Libye car ce dernier sait maintenant qu’un grand pays, la France, est à son coté contre une absurde tyrannie qui devra répondre des crimes contre son peuple. Elle met surtout les partenaires européens dans une situation inconfortable car elle ne permettra plus que ces derniers reprennent à soutenir le pouvoir de Kadhafi via le pétrole. Moins convaincant, en revanche, à mes yeux est le détachement que M. Sarkozy montre vis-à-vis de l’Amérique d’Obama, et qui a été déjà observé au Conseil de sécurité à propos de la mise en place de la « no fly zone ». S’il n’a jamais été question d’un débarquement de l’Otan sur le sable de la Libye et moins encore de la couvrir sous un tapis de bombes comme vous dites, il faut reconnaître que l’action de l’Amérique a été et est essentielle dans les révolutions arabes et dans leur transition démocratique. Les rapports avec la Ligue arabe les sont autant pour avoir le feu vert d’agir et de supporter la résistance libyenne.

  3. ……ON NE PEUT QUE VOUS DIRE  »BRAVO » MONSIEUR BERNARD HENRI LEVY.

  4. Il faudrait peut être insister sur le fait que c’est kadhafi qui a d’ores et déjà internationalisé le conflit avec le recours à des mercenaires étrangers payés pour les officiers 2000 dollars par jour pour tirer sur le peuple lybien. On n’est pas du tout dans une configuration de préservation d’une souverainté nationale auxquels sont sensibles russes et chinois pour des raisons de politique intérieure. C’est Franco qui s’appuie sur la légion Condor contre les répulicains espagnols. Il doit bien y avoir moyen d’interpréter le droit international pour justifier que ces mercenaires soient chassés ce qui reviendrait à permettre l’élimination politique et militaire de kadhafi