Harbans Mukhia est un grand historien de l’Inde musulmane, tout particulièrement des Moghols qui gouvernèrent l’Inde du seizième au dix-neuvième siècle, un choix que sa vie personnelle explique en partie : pour retrouver sa femme et sa mère, disparues toutes deux dans l’enfer de la Partition des Indes britanniques en 1947, le père d’Harbans se déguisa en musulman et, flanqué d’amis musulmans qui lui firent un rempart de leurs corps, il partit pour tenter de les retrouver dans ce qui était devenu depuis quelques semaines un nouvel État, le Pakistan. Les musulmans sauvèrent son père hindou, et Harbans défend, à très bon droit, les musulmans de l’Inde. Il nous racontera ça en juin 2011 à l’Université populaire du quai Branly, dans le théâtre Claude Lévi-Strauss.

Mes amis indiens sont très souvent athées, rationalistes et matérialistes – comme moi – et c’est le cas d’Harbans. Son œil tombe sur une lignée de fils jaunes et oranges noués à mon poignet droit et d’un air soupçonneux, me questionne : « D’où sors-tu cela ? » Vite, j’explique que je veux faire connaître à mes deux petits-fils les lieux de culte en Inde, et que pour le temple hindou, j’ai choisi le plus simple des temples au bord d’une route de campagne. Harbans fronce le sourcil, il n’aime pas les curés. Je précise que l’officiant, pour une fois, était jeune, aimable et beau comme tout (alors que l’officiant de temple est en général vieux, déplaisant et moche comme tout), que sa femme était ravissante, ses enfants superbes et qu’il a fait les gestes rituels avec une grande simplicité. Quand je dis que le temple était propre (alors qu’ils sont si souvent parsemés de flaques boueuses sur le sol carrelé, voire le marbre), Harbans se détend et sourit.

Harbans Mukhia
Harbans Mukhia

Son père, mort jeune sans avoir retrouvé ni sa femme ni sa mère à jamais disparues, deux victimes parmi les deux millions de morts de la Partition, était un militant du parti du Congrès, celui de Gandhi, Nehru – et même, dans les années 1930, celui de Jinnah, le père fondateur du Pakistan, et s’était engagé dans le mouvement Quit India (Quittez l’Inde !) lancé par Gandhi aux Anglais en I942. Lui aussi était un rationaliste et peut-être n’aimait-il pas non plus les « curés » hindous, les pujari. Tout naturellement, son fils Harbans est l’un de mes rares amis à avoir fait un mariage « romantique », entendez un mariage d’amour, sans arrangement par les parents. Si romantique qu’une fois la demande en mariage acceptée, Harbans s’étonna que sa future l’appelle encore « Monsieur Mukhia ». Ce n’est plus la peine, lui dit-il. « Mais c’est que je connais pas encore votre prénom…  » répondit  illico la belle Boni, une vraie fille du Bengale à l’œil malicieux. Corrélation ? Oui. Les rationalistes athées matérialistes, comme l’était Nehru lui-même, sont de vrais amoureux. Logique, non ?