Du nouveau dans l’affaire Sakineh. Après quatre mois de détention, Marcus Hellwig et Jens Koch, les deux journalistes allemands arrêtés en compagnie du fils et de l’avocat de Sakineh, ont été libérés samedi.

Le reporter et le photographe du tabloïd allemand Bild am Sonntag sont arrivés dimanche matin à Berlin, a indiqué le ministère allemand des Affaires étrangères.

« Je suis très heureuse que Marcus Hellwig et Jens Koch puissent enfin retourner en Allemagne, libres », a déclaré la chancelière Angela Merkel, dans un entretien à l’édition dominicale du Bild.

Selon les médias turcs, la libération des deux journalistes allemands en Iran serait en partie due à une intervention du Président turc Abdullah Gül, en visite en Iran la semaine dernière. Le quotidien turc en langue anglaise Today Zaman, écrit ainsi que des sources au bureau de la présidence turque ont affirmé que le président allemand Christian Wulff avait appelé son homologue turc avant son départ pour lui demander de soutenir la cause des deux journalistes auprès de Mahmoud Ahmadinejad.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, s’est lui-même spécialement rendu à Téhéran samedi pour chercher les deux journalistes. Il s’agissait de la première visite en Iran d’un chef de la diplomatie allemande depuis octobre 2003.

Lors de son voyage de quelques heures, Guido Westerwelle a été reçu par le président iranien Mahmoud Ahmadinejad et a eu des entretiens avec son homologue iranien Ali Akbar Salehi.

Selon le site de la présidence iranienne, Mahmoud Ahmadinejad a notamment évoqué « les questions régionales, la situation en Afghanistan et la nécessité d’une coopération contre le terrorisme et le trafic de drogue ». Une annonce pour le moins provocante, à peine trois semaines après l’exécution par l’Iran de la citoyenne irano-canadienne Zahra Bahrami, 46 ans, officiellement pour possession et trafic de drogue, mais qui avait été arrêtée lors des manifestations anti-gouvernementales de décembre 2009 à Téhéran. Cette exécution a amené les Pays-Bas à décider du gel de leurs relations diplomatiques avec l’Iran.

Ali-Akbar Salehi, ancien chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, récemment nommé ministre des Affaires étrangères a affirmé pour sa part que la visite de Guido Westerwelle à Téhéran visait à « renforcer les relations bilatérales », et que les deux ministres avaient « décidé d’autres rencontres déjà programmées dans le futur ».

Il faut dire que les relations irano-germaniques sont en pleine croissance, en dépit des sanctions internationales frappant l’Iran au sujet de son programme nucléaire et de la campagne de répression sans précédent dont sont victimes les opposants iraniens. Ainsi, selon le Wall Street journal, qui cite les chiffres du bureau fédéral allemand des statistiques, les importations de produits allemands en Allemagne ont augmenté de 690 millions d’euros durant les dix premiers mois de l’année 2010, surpassant de 28% le chiffre total des importations pour toute l’année 2009, qui s’évaluait déjà à 538 millions d’euros. Et il n’y a pas que Téhéran qui profite de cette entente. Les exportations de produits allemands vers l’Iran de janvier à octobre 2010 ont atteint le chiffre de 3,164 milliards d’euros, soit une augmentation de 5%, comparé aux 3,013 milliards échangés durant la même période de l’année 2009.

Ce n’est donc pas une surprise si Ali-Akbar Salehi a exprimé samedi le souhait de « regarder vers le futur » dans ses relations avec l’Allemagne, estimant que les deux pays avaient « de nombreuses questions à discuter », au cours d’une conférence de presse retransmise en direct par la chaine iranienne en langue anglaise Press TV. C’est pourtant cette même chaîne gouvernementale qui avait diffusé en décembre un document à charge contre Sakineh, dans lequel les deux journalistes étaient accusés d’avoir violé les lois du pays et d’avoir menti. Le 1er janvier dernier, l’Iranienne avait d’ailleurs annoncé, dans une autre « conférence de presse » organisée par le gouvernement, son souhait de porter plainte contre les deux journalistes allemands qui l’avaient « déshonorée ».

Marcus Hellwig et Jens Koch avaient été arrêtés le 10 octobre dernier dans le bureau de Houtan Kian, l’avocat de Sakineh, alors qu’ils interviewaient le fils de Sakineh, Sajjad Ghaderzadeh. Accusés de propagande contre l’État, d’être illégalement entrés en Iran avec des visas de touriste, d’activités liées à l’espionnage, puis de liens avec des groupes d’opposition en exil, ils ont finalement été condamnés chacun à une peine de prison de 20 mois qui a été immédiatement transformée en amende de 500 millions de rials (environ 36 000 euros), selon l’autorité judiciaire qui a expliqué qu’ils avaient été convaincus de « délit contre la sécurité nationale ».

Pas un mot n’a en revanche été prononcé par Guido Westerwelle sur les cas Sakineh et Houtan Kian, toujours emprisonnés dans le centre de détention de Tabriz et pour lesquels les deux allemands s’étaient pourtant rendus en Iran à l’automne dernier. Malgré les déclarations gouvernementales contradictoires expliquant que la vie de l’Iranienne pourrait être épargnée, aucune annonce ou document officiels n’indique pour le moment que l’Iranienne est sauvée, surtout qu’elle n’a accès à aucun avocat. Son dernier défenseur, Houtan Kian, arrêté lui aussi le 10 octobre dernier, se trouve actuellement dans une situation toute aussi inquiétante. Considérablement affaibli sur les dernières vidéos des « confessions » diffusées à la télévision d’État iranienne, celui-ci avait pourtant mis un point d’honneur à ne rien avouer, malgré les informations indiquant qu’il avait été victime de tortures. Sajjad Ghaderzadeh, le fils de Sakineh, a lui été libéré sous caution le 12 décembre dernier, mais demeure depuis sous l’étroite surveillance des services de Renseignement, qui lui interdisent tout contact avec l’étranger.

Pas un mot non plus n’a été prononcé samedi, selon la télévision d’État, au sujet du vent de « révolte verte » qui souffle de nouveau sur l’Iran, un an et demi après la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence. Pourtant, ce « voyage éclair » du ministre allemand s’est tenu à la veille d’une nouvelle journée de manifestation de l’opposition, la seconde en moins d’une semaine, au cours de laquelle des « dizaines de milliers » de manifestants sont sortis exprimer leur rejet du pouvoir, tant à Téhéran que dans les plus grandes villes de Province. Cet oubli a néanmoins vite été démenti par le ministère allemand des Affaires étrangères, qui dans un communiqué a indiqué que les ministres avaient également discuté de leurs opinions différentes sur les « questions des droits de l’homme et du développement de la démocratie ».