En 1946, une enquête fut lancée sur le thème: « Avez-vous lu Maurice Barrès? ». A l’époque, et pour des raisons facilement compréhensibles, le grand écrivain nationaliste n’avait pas bonne presse – n’était-il pas en effet aisé d’associer le meneur de la Ligue des Patriotes à l’Action française, et aux extrémismes qui menèrent à la débâcle? Pourtant, il avait marqué son époque et largement inspiré un auteur de l’importance de Marcel Proust. Or il se trouva une voix inattendue pour défendre la gloire d’hier devenue essayiste maudit: Louis Aragon, qui expliqua ce qu’il devait à son prédécesseur, notamment dans la conception d’une identité littéraire semifictionnelle.

Alors que vient de mourir François Nourissier, il est fascinant de voir combien les motifs généralement avancés pour se souvenir de lui ont trait à son influence, à ses fonctions au jury du Prix Goncourt, à son tempérament, parfois. Mais au fond, ce n’est qu’assez rarement que son oeuvre est évoquée – comme s’il n’avait été qu’un homme d’influences, un prince de l’aristocratie sans Versailles qu’est le Paris littéraire. Comme s’il n’avait pas écrit plus d’une vingtaine d’ouvrages, qui constituent, qu’on le veuille ou non, un ensemble susceptible de porter l’appellation d’ « œuvre ».

Notamment, un livre comme « Une histoire française », qui obtint le Grand Prix de l’Académie l’année de sa parution, en 1965, a fait époque et apparaît encore aujourd’hui comme un texte dont l’impact sur l’esthétique du roman a été considérable – la manifestation la plus évidente en étant sans doute l’inspiration qu’il a représenté pour l’ouvrage de Frédéric Beigbeder, « Un roman français ». En effet, si le personnage est différent, le sujet en est exactement semblable: un jeune quadragénaire, guère éloigné de l’auteur du roman, son frère jumeau, pourrait-on penser, tente de « dire pourquoi un ‘petit bourgeois’ (grand bourgeois, pour Frédéric Beigbeder) français de bientôt quarante ans se trouve mal dans sa peau et mal dans son pays », ainsi que le dit François Nourissier dans sa présentation. En outre, la structure même du texte d’ « Un roman français » reprend le ton de celui de son prédécesseur, entremêlant narration du passé récent, description d’enfance, et évocation du temps de l’écriture.

Au-delà de cette anecdote, le livre importe, car il manifeste une symbiose avec son contexte d’Histoire littéraire absolument remarquable, en même temps qu’une inactualité profonde. Par bien des aspects, c’est un écrit aragonien, et ce n’est sans doute pas un hasard si François Nourissier, qui était proche du poète, place une citation en épigraphe, un passage du « Mentir-vrai ». Aragonien, il l’est aussi par la passion clairement affichée pour Barrès, dont le magnifique essai sur Greco nourrit un développement du septième chapitre; décidément, il s’agit bien là d’un ouvrage « barrésien », et ce en particulier par le souci de l’ « identité nationale » qui en sous-tend les lignes, notamment à la fin du récit.

Un autre aspect fait de ce livre un programme: il constitue, et ce fut un fil conducteur du parcours littéraire de François Nourissier, une narration semifictive sur un personnage qui, comme le narrateur de « Blanche ou l’oubli », roman paru deux ans après « Une histoire française », est comme un frère de l’auteur. De la sorte, cette fraternité pose la première pierre de ce qui a été, en parallèle avec Proust, une des sources d’inspiration de ce que l’on a appelé l’ « autofiction à la française », et qui a connu, dans les décennies qui suivirent, et jusqu’à maintenant, un succès étonnant. Par son récit, François Nourissier manifestait clairement sa situation, qui était celle d’Aragon, qui fut celle de Barrès – qui est, au fond, celle de bien des écrivains: il se trouvait entre deux mondes, entre le « pieux, le doux, le cher passé » dont a parlé Bassani, et les prodromes d’un avenir pour la littérature.