Ne doutons pas d’une chose : la révolution nouvelle s’obtient par immolation. On ne met pas le feu aux poudres. Un homme met le feu à cet homme : lui-même. C’est le signe du départ, le feu, vert, donné aux éboulements, aux mouvements. Les pays arabes, dans ce temps neuf, ont choisi un signe religieux pour déclencher la révolution et chasser les tyrans : non un signe d’abord islamique, mais chrétien. Quand la messe se renouvelle, elle asperge de nouveau Jésus d’essence ; c’est dans son sacrifice par le feu que nous élevons sa figure, que sa figure descend ici, et surtout : maintenant. Jésus sur la croix : premier sens d’immoler. S’immoler par le feu n’est pas une tautologie. Et pourtant ; dans l’immolation le feu n’est jamais loin. Il s’agit de ce feu intérieur, qui brûle l’homme dans son intégrité, le porte à incandescence. Et la couleur de la révolution n’est pas tellement le rouge : mais l’incandescence. La couleur de la révolution n’est pas le rouge : mais le fer rouge. C’est par un acte divin, un feu mis au buisson (il n’y a qu’un seul buisson biblique) que la liberté voudrait s’enflammer à partir de ce combustible volontaire : l’homme, le corps de l’homme. Par ce feu est souligné, alors qu’on ne nous parle que de politique, l’omniprésence non de Dieu, ni de quelque Fils que ce soit, mais du sacré : la liberté n’est pas politique, elle est sacrée. Celui qui s’immole fait vœu d’ubiquité : il est sur terre en même temps que dans l’air, il se dissipe et se répand. L’homme qui s’immole se propage ; il se propose au vent. Il fabrique de l’omniprésence – le voici qui s’envole parmi les hommes, bien au-dessus de leurs têtes. Ce vent de liberté, il y est inscrit, ses cendres y habitent, qui sont soufflées, trimballées par ce vent. Le carbone évaporé, montant dans les altitudes, permet de visualiser, d’incarner ce vent révolutionnaire. Je suis double, je suis ubiquité : solide, filandreux, à moitié carne et à moitié poussière. L’immolé fabrique une chose unique : l’impossibilité à être circonscrit. On ne peut le toucher ; car il brûle. Il s’agira de redéfinir l’Intouchable. La révolution, qu’il incarne en se consumant, est cette chose qu’on ne peut toucher sans se brûler les doigts.

L’immolé formule sa souffrance : ce qui le brûlait dedans le brûle maintenant dehors. C’est cela, le feu sacré. L’homme n’est plus seulement matériel : en prenant feu sa texture change d’élément premier. L’immolé opte pour une structure neuve. Non plus la terre, ni l’eau (puisqu’il est déjà fait terre, il est déjà rempli d’eau) : mais feu. La seule substance qui n’était pas faite pour lui. La liberté se fait chair, comme Jésus descendu, mais cette chair se calcine – on s’offre en sacrifice à la révolution. L’immolation est le point d’incandescence d’une autre matière encore : la détermination. Celui qui met feu à son corps se prépare à une mort lente, mais une mort à laquelle il participe. Il est acteur de sa mort, mais spectateur ; il est victime, il est bourreau, il s’abîme et se soulage. Il se donne la mort, et en même temps il donne sa mort aux autres. On n’arrête pas le feu, on n’arrête pas la révolution. Tout est toujours trop tard quand les flammes ont commencé. Le feu crée de l’irréversibilité – le peuple sera souverain dès lors que, de son corps, il aura entière possession ; dès lors que son corps, auquel il octroie maintenant la liberté de brûler, aura la liberté d’aller, de circuler, de se déplacer, de se mouvoir. Celui qui se tue par le feu modifie la structure du régime auquel il appartient : plus rien ne peut l’atteindre, sinon lui-même. Le ventre du pouvoir est en son centre, exclusivement.

Le feu, aussi, est là pour s’étendre, pour gagner du terrain. Pour « embraser » le monde arabe. Il mangera la géographie qu’il aura à manger, calcinera toutes les terres qui ne seront purifiées que par cette idée ancienne que les peuples veulent, sans avoir à aimer Dieu ni à l’aimer, rester en paix avec leur propre sang.

Celui qui se consume, sans doute, devient immédiatement un mystique – en ceci qu’il échappe à toute récupération. Celui qui brûle (Péguy s’était souvenu de Jeanne) crée, qu’il le veuille ou non (à son corps défendant, incandescent mais défendant), une intimité avec Dieu. Non en ce qu’il se fait croyant, qu’il se convertirait aussitôt (d’autant qu’il est déjà musulman) mais parce que son sacrifice particulier appartient à la mystique – il abolit la transcendance de la religion révélée (sur laquelle est fondée l’État) pour la vivre dans une appropriation, une domestication singulière. L’immolé casse la transcendance : son acte sacrificiel, fût-il politique, cesse immédiatement d’être politique pour en appeler à des valeurs supérieures à la politique : ce n’est pas pour la démocratie qu’on fait la révolution, mais pour la liberté.

3 Commentaires

  1. Qu’il me soit permis de dire comment j’ai reçu et je garde en moi ce témoignage terrible d’un homme offensé dans sa dignité.

    Cet homme n’était pas un fou, ce n’était pas un saint, ni un héros c’était beaucoup mieux que cela….c’était un homme libre et digne.

    N’en faisons pas un martyr, afin de ne pas dénaturer son acte, et qu’il demeure dans les mémoires et se perpétue dans nos vies en ce lieu ,où en dépit de nos singularités, nous sommes Un seul……notre Humanité .Notre Royauté, qui s’établit dans le respect sacré de notre liberté et de notre dignité. Il n’est pas d' »Homme » libre qui ne soit digne, il n’est pas d' »Homme » digne qui ne soit libre.

    Cette homme n’a pas renoncé à la vie, on la lui a interdite. Ne lui laissant d’autre choix que la survie au prix de sa dignité.
    Qu’aurait-il pu être dans de telles circonstances, sinon une victime, sinon un bourreau? Qu’aurait-il pu faire? Accepter ce jeu inique, entre mendier ou bâtir l’oeuvre de sa vie au détriment de celles des autres, contre celles des autres? Que vaut une société ou le jeu consisterait à se hisser au dessus des autres en acceptant de choir plus bas que soi.

    Que lui restait-il d’autre réduit à l’impuissance, qu’une juste colère mêlée de désespoir? Il aurait pu mettre fin à ses jours dans la solitude, il aurait pu se faire sauter au milieu d’une foule d’innocents.

    Et qu’a t-il fait? Il Nous a choisit devant les caméras! Retournant sa colère contre lui même. Il a mis le feu à cette singularité qui le faisait unique. Pour révéler ce en quoi nous sommes semblables et Un seul, notre dignité humaine. Il s’est dépouillé de son orgueil, mis son amour propre dans sa poche mais pas sa dignité et sa liberté qui constituent le fondement de ce que nous sommes.

    Jeté dans un cul de basse fosse, la vie n’est plus la vie. Il s’est enfuit.

    La souffrance qu’il s’est infligé n’avait d’égal que son amour désespéré de la vie, consumant dans la douleur le lien charnel qui le reliait à ceux qui l’aimaient et qu’il aimait.Le prix du renoncement à cette vie dans laquelle il avait été appelé ou il avait été construit, édifié à hauteur d' »Homme », prêt à oeuvrer à son tour.

    Il a devant nos yeux détrôné l’usurpateur qui siégeait en chacun de nous et rétablit la royauté légitime de notre dignité humaine. C’est en elle que réside la valeur sacrée de nos existences.

    A l’heure ou l’on parle partout de chercher du sens, de redonner du sens à nos vie, nos paroles, nos actes. Ce qui donne du sens et de la valeur à tout ce que nous édifions, y compris nous même,c’est ce socle sacrée, la première pierre,sans laquelle tout n’est que mirage…. notre dignité humaine et le respect sacré que nous lui devons. La frontière sacrée du bon usage et garante de notre liberté véritable. Le seul tabou qui soit c’est d’en franchir la limite au delà de laquelle nous portons l’Offense. C’est ce respect sacré de notre dignité et de notre liberté qui nous dessine nous contient et c’est par lui que nous nous devons de nous contenir.

    Si il n’est rien de plus humble que la dignité humaine, il n’est rien non plus qui la surpasse en valeur.

    Si il n’est rien de plus humble qu’un « Homme » libre et digne, il n’est rien qui lui soit au dessus.

    J’abomine ceux qui comptabilisent les vies humaines comme on compterait des billes.
    Si je place une bille sur le plateau d’une balance et mille semblables sur l’autre, chacun sait de quelle côté penchera la balance. Si l’on place la valeur d’une vie humaine sur un plateau et mille autres vies sur l’autre, imaginez-vous que les plateaux demeurent à l’équilibre. Car quand on parle d’êtres humains, 1000 c’est 1000 X Un.

    Haïssables sont ceux qui classent minutieusement les atrocités perpétrées par l’espèce humaine contre elle même. Car au musée des horreurs ,il n’y a pas de hiérarchie dans les crimes de l’humanité contre l’Humanité.Tous se valent, tous ne sont qu’un seul car il porte atteinte à Un seul……l' »Homme ».Nous.

    Celui qui s’est immolé nous a remis l’enfant sacré, le tout petit, dans sa nudité. L’enfant Roi, le petit d' »Homme »,l’Humain. Prenons soin de lui en nous même et les uns envers les autres.

    D’ombre et de lumière nous sommes tous fait. Nous dérapons tous, nous trébuchons mais par le respect sacré de notre dignité humaine nous nous reprenons, nous nous relevons.
    Nous n’avons pas assez de science en chacun de nous pour être Juste mais habité par l »‘Esprit de Justice » nous pouvons réajuster les poids et les mesures selon notre science et tendre vers l’équité .C’est la voie de l' »Homme » que d’être de bonne volonté envers lui même. Afin que nous fassions ensemble aussi bon usage que possible des sciences, des arts et de la vie.

    Pour finir, Il va de soi que la femme comme l’homme sont petits d' »Homme ».

    Ceux qui font dire autre chose aux religions, ont « mangé » et ont « bu » mais n’ont pas été nourrit. Ils se sont égarés en eux mêmes et leurs fruits sont mauvais. Il y a plusieurs religions, mais elles n’enseignent qu’une Sagesse.

    Si nous sommes encore trop « petits » pour l’Amour nous sommes assez « grands » pour l’Amitié.

  2. S’immoler par le feu

    Je m’appelle Hélène…Je suis grecque… la Grèce… quelle étrange tendresse ?
    Ma ville natale ne s’écrit plus en lettres capitales
    Athènes mère, marraine !
    J’ai décidé sous l’œil de cette caméra
    De mettre fin à mes jours
    De m’arroser d’essence et de m’immoler par le feu
    Parce que je n’ai pas envie de te céder
    Pour une poignée d’euros!

    http://www.lejournaldepersonne.com/2011/02/simmoler-par-le-feu/

  3. Voilà un très bel hymne à la liberté de l’esprit, la seule vérité, la seule vrai liberté de l’esprit.
    Merci pour ce beau texte.
    Puissent tous ceux qui eurent le courage et la générosité d’embraser l’ignorance aliénante demeurer en paix pour toujours !
    À NE PAS FAIRE CHEZ SOI, rappellons que pour pouvoir offrir ainsi son corps et sa vie il faut une avoir intention parfaitement pure et altruiste, qu’il faut être magnanime et non pas suicidaire!
    Merci encore Mr Moix