Gilles,

Ton discours est raide. Ton discours-droit dans les bottes sur la Côte d’Ivoire (discours d’une arrogance assez singulière, par ailleurs), ton discours est d’une simplicité ahurissante. Ignorance de la réalité ivoirienne ? Positionnement politique délibéré ? Limites du raisonnement binaire ? Je ne sais pas.

Manifestement il te faut, à tout prix, un méchant dictateur sanguinaire à déglinguer ! Mon souci est tout autre : il y a un pays divisé, un pays qui saigne et qu’il faut aider – modestement, chacun à notre petite échelle – ; un pays qu’il faut aider à ne pas sombrer dans l’abîme. Jouer des muscles ne sert  donc à rien, et cela ne m’intéresse strictement pas. Pour le reste, comme dirait Dicale, je ne vais pas passer ma vie à t’expliquer  que je ne pense pas ce que tu penses que je pense ; que je ne pense pas ce que tu penses que je dois forcément penser. Mais bon… ultime tentative quand même.

Ma position sur la situation en Côte d’Ivoire est la suivante :

Primo : Le pays est profondément divisé et, ajouter la guerre à l’impasse actuelle serait plus qu’une bêtise suprême, une bêtise monstrueuse : la guerre ne ferait qu’amplifier les divisions et les haines actuelles. Et le supposé vainqueur d’une telle boucherie ne serait en réalité qu’un vaincu, un estropié incapable de régner en toute sérénité car ayant la moitié du pays contre lui. C’est la position exprimée par de nombreuses personnalités parmi lesquelles Mbeki, Pierre Sané (ancien directeur d’Amnesty International) et Jerry John Rawlings. Je me réjouis également de constater que c’est la position des pays les plus démocratiques de la CEDEAO.

Deuxio : Je suis opposé, par principe, à toute idée de démocratie imposée par la force. On ne libère pas un peuple en l’asservissant, en l’écrasant avec des chars ; on n’émancipe pas un peuple contre lui-même ; on n’affranchit pas un peuple en humiliant, en abaissant une partie de ses fils. C’est l’opinion partagée par la majorité des Africains – leaders politiques, leaders d’opinion et simples citoyens confondus. Opinion souvent exprimée en privée – notamment par les leaders politiques incapables de  « l’ouvrir » publiquement car  tenus par des liens d’allégeance, tenus par des liens de subordination, d’obligation.

Tertio : La solution à la crise actuelle est dans le dialogue et la négociation. Toute solution non négociée ne sera pas viable. Pas difficile à comprendre. Et puisqu’il faudra de tout évidence négocier, mieux vaut négocier maintenant, tout de suite, plutôt que demain, dans les cendres fumantes d’une guerre fratricide et absurde. Le temps presse ; le sang continue de couler : il faut dialoguer, négocier maintenant!

Quarto : Il existe plusieurs formules de sortie de crise déjà expérimentées ailleurs. Aux Ivoiriens d’en tirer les leçons ; et à eux d’inventer un modèle à leur convenance. Dans le respect du verdict démocratique.

Quinto : Il est du devoir de certaines puissances extérieures à la Côte d’Ivoire de sortir de leur logique de guerre et d’encourager les Ivoiriens à se retrouver. La démocratie, c’est le refus de la violence et la réintroduction de la politique, du dialogue, au cœur de la cité et non l’inverse.

Hexo : Nombre d’Africains sont aujourd’hui extrêmement en colère. Ils sont persuadés que la posture actuelle de certaines puissances  est essentiellement guidée par une volonté impériale et non par la défense d’un noble idéal : la démocratie. Et un passage en force en Côte d’Ivoire ne fera qu’accentuer cette méfiance-là, cette cassure-là.

Hepto : Cette année dix-huit pays africains se rendront aux urnes. Comme d’habitude, il faut s’attendre à plusieurs querelles post-électorales. Probablement dans une dizaine des pays. Au minimum. Faudra-t-il alors à chaque fois recourir à la politique de la canonnière ?

Octo : Le temps est venu de relancer le débat sur l’actualité, le fonctionnement et l’avenir de la démocratie en Afrique. Sinon… Sinon ? Les Africains passeront les cinquante prochaines années à se déchirer entre eux, le lendemain de chaque élection. Il est temps de favoriser la réflexion sur les conditions nécessaires à l’émergence d’une démocratie  stable, porteuse des valeurs de dialogue et de partage.

Voilà ma position. Tu n’es pas obligé de la partager : je ne pense pas comme toi ; tu ne penses pas comme moi : c’est comme ça, c’est la démocratie ; c’est ça la démocratie. Pas besoin donc d’ironie, de sarcasmes et de brutalité dans tes propos. Cela te grandirait également d’arrêter de pervertir systématiquement mon propos.