A huis clos se passe actuellement en Tunisie une révolte dont on ignore largement l’étendue et les conséquences. On y parle d’activisme étudiant, d‘action syndicale mais également de la révolte intellectuelle d’un peuple étouffé par un État policier qui verrouille tout et emprisonne aussitôt que l’on s’aventure à penser en dehors des limites qu’il définit. Les lecteurs de la Règle du Jeu le savent : partout où le combat pour la démocratie se fait jour, partout où les forces d’ouverture et de progrès se heurtent aux conservatismes et aux dictatures de tous bords, la revue et ses éditorialistes s’impliquent, réfléchissent, expliquent. Elles l’ont fait au moment de la chute du communisme, de la Bosnie, du Rwanda, du Darfour et plus récemment, ces dernières heures encore, inlassablement, pour l’Iran. Elles poursuivent dans cet élan en traitant aujourd’hui des évènements tunisiens. Je dois avouer que le sujet m’est cher, ayant moi-même quelques origines tunisiennes.

Que les choses soient claires : la Tunisie n’est ni l’Iran d’aujourd’hui, ni telle « République populaire » de jadis. Les mœurs y sont libérées, le peuple lorsqu’il ne se mêle pas de politique peut y vivre décemment et prospérer. On ne voit pas dans les rues de Tunis beaucoup de femmes voilées, encore moins de burqas. La minorité juive y est bien traitée. La Tunisie ne ressemble pas à ses voisins algériens et libyens. Elle est le premier pays africain en terme de compétitivité économique. Son économie croît rapidement et bénéficie de lucratifs partenariats extérieurs. Les touristes du monde entier s’y précipitent : de Tunis à Sousse, de Sfax à Djerba, le pays se vante – pas toujours à tort – d’être un jardin.

Aujourd’hui, nous assistons, en Tunisie, au début d’un soulèvement populaire et démocratique « propre »: pas d’islamistes ou très peu ; une révolte ni téléguidée, ni feinte. Et pourtant, pour une fois qu’un peuple arabe se soulève expressément pour obtenir plus de démocratie et de justice sociale, les médias français et les intellectuels hésitent à s’impliquer. Voilà qui est grave ! Voilà qui doit être réparé ! Le peuple tunisien qui se redresse a besoin de nos relais car ses intellectuels, eux, sont souvent dans l’impossibilité de s’exprimer…

Il existe pourtant quelques motifs de satisfaction. Comme en d’autres lieux, la jeunesse s’est emparée de l’outil formidable que représente Internet pour transmettre ses idées et ses mots d’ordre. Dans un article pour Le Monde, Marion Solletty nous apprend ainsi qu’en Tunisie, « l’internet bouillonne » !

« Chez les jeunes, Facebook et Internet en général ont joué un grand rôle dans la mobilisation : les autorités ne s’y sont pas trompées, et tentent en vain de museler la Toile. « Grâce aux réseaux sociaux et à Internet, nous avons pu relayer les informations entre nous, jeunes Tunisiens », témoigne Nadia. Certains se sont créés un profil anonyme, d’autres n’hésitent pas à relayer les informations et à les commenter sous leur propre nom. Les mots d’ordre pour des rassemblements partent souvent du Web, puis circulent par le bouche à oreille et arrivent jusque dans les cafés, très fréquentés par les Tunisiens, s’étendant à toutes les générations. »

Internet n’a fait qu’accélérer un processus qui était annoncé de longue date. Est désormais arrivé le temps où le pouvoir tunisien doit procéder à une série de choix qui conditionnera l’avenir de la nation. Soit il choisit d’entendre les griefs de son peuple, de desserrer son emprise sur la pensée et les consciences et d’aller vers le progrès. Alors la Tunisie sera bien partie pour devenir un havre de paix et de prospérité (et, accessoirement, ce sera la preuve que l’Afrique n’est pas vouée à la misère matérielle et politique…). Ou bien elle persiste dans une sorte de surdité autoritaire ; elle réprime sa jeunesse dans le sang ; le pouvoir organise l’escalade pour mieux cogner ; et, alors, le pays commencera par stagner puis, inévitablement, régressera et ira vers les scenarii les plus tragiques…

Soyons lucides ! C’est bien parce que les Tunisiens ont gouté à la démocratie qu’ils en veulent plus, toujours plus. Ils savent qu’ils ont droit au Droit. Et c’est pourquoi protestent un peu partout dans le pays. Et ils ont raison ! Malgré la censure, les Tunisiens savent qu’en faisant dès à présent pression sur le pouvoir en place, ils pourront obtenir du successeur de Ben Ali des assouplissements clairement matérialisés : une presse plus libre, un pouvoir plus transparent. Si toute la population s’y met, le pouvoir devra inévitablement se tempérer puis céder. Le gouvernement tunisien serait bien avisé de ne pas s’entêter. Car, sinon, ce seraient les islamistes qui, pour le coup, risqueraient d’accroitre leur influence. Nous y voilà ! S’il y a bien un argument que Ben Ali et ses successeurs doivent entendre, c’est celui-là : ne rendez pas vos efforts contre l’intégrisme vains ! Vous n’avez pas fait la guerre aux fondamentalistes pour les laisser prospérer du fait de vos propres erreurs de stratégie. On sait combien l’islamisme prospère sur le désespoir des populations. Écoutez donc la rue avant qu’elle ne vous échappe. En matière laïque, soyez fidèles au meilleur de l’héritage de Bourguiba (lui-même largement inspiré d’Ataturk). Encore un effort, dirigeant tunisiens, pour ne pas finir définitivement déshonorés – et dans les poubelles de l’Histoire.

A lire également : Tunisie, chroniques d’une impasse politique par Seif Soudani

3 Commentaires

  1. Oh ce voile, comme disait le Défunt Dr Ali Shariati, le voile de la femme musulmane est comme les piques d’une rose dans l’oeil de l’occident arrogant.
    Ils nous parlent du voile lorsque les femmes tunisiennes meurent pour aucun crime autre que vouloir la volonté du peuple tunisien soit établie et que la parole politique soit donné a tous, islamiste ou non, laïc ou non….

    Pas beaucoup de voilées? Juste quasiment toutes les femmes et on remarque sur la photo que vous racontez n’importe quoi.

    Voilées ou non, il y aura une république ISLAMIQUE de Tunisie avec ce qu’il a de voile pour emmerder tous les occidentaux arrogants.

  2. Plutôt que de critiquer le pays il faut au contraire le féliciter et l’encourager pour ses initiatives telles que la construction de plusieurs universités et le soutien à la poursuite des études supérieures ; ou encore le courage de nos politiques qui, lors des anciennes manifestations contre le chômage, ont appelé à la construction de plus d’écoles d’ingénieurs… En Tunisie presque chaque village a une Université : le pays a passé de 12 000 étudiants a 350 000 etudiants dont 60 % des filles.

    La Tunisie est devenu le pays d’1 million d’ingénieurs. Nos jeunes ingénieurs construisent aujourd’hui des Avions AIRBUS alors qu’avant ils ne faisaient que fabriquer des vêtements et des slips !!!.
    Je suis fier de lire dans la presse mondial sur les compétences tunisiennes qui travaillent dans les grands groupes (en Europe, USA…), dans les grandes universités, la Nasa…

    Scientifiquement, économiquement et technologiquement, la Tunisie est classé le 1er pays d’Afrique et du Monde arabe.

    D’après l’ONU, la Tunisie (sans ressources naturelles) est classée 1er pays arabe et 16 pays mondial !! en investissement dans le système d’éducation

    La Tunisie préfère avoir des chômeurs diplômés que des chômeurs incultes. Les autres pays préfèrent eux fermer les universités et réduire les taux de réussite au bac.