La justice iranienne a décidé de se focaliser sur les convictions de meurtre pesant sur Sakineh plutôt que sur les charges d’adultère pour lesquelles elle a été condamnée à la lapidation, a annoncé hier le procureur général de l’Iran.

« J’insiste sur le fait que, sans aucun doute, l’accusation et la peine pour meurtre prennent le dessus sur l’autre accusation (d’adultère) et le pouvoir judiciaire a mis à l’ordre du jour d’abord celle-ci (du meurtre) », a déclaré hier Gholam Hossein Mohseni Ejeie, à l’agence de presse officielle iranienne IRNA. Le procureur général de l’Iran a en outre expliqué que les charges de meurtre et d’adultère pesaient toujours sur Sakineh Mohammadi Ashtiani, mais que « du temps et une enquête étaient nécessaires afin d’arriver à une sentence définitive ».

Ces annonces vont à l’encontre des information que nous a données Javid Houtan Kian et Sajjad Ghaderzadeh, l’avocat et le fils de Sakineh, aujourd’hui emprisonnés et coupés du monde depuis un mois dans des cellules individuelles de la prison de Tabriz pour avoir révélé son cas aux médias internationaux.

En effet, selon les documents fournis par l’avocat, Sakineh Mohammadi Ashtiani a été condamnée en mai 2006 à recevoir 99 coups de fouet pour « relation illégale » avec deux hommes, sans aucune preuve ni témoignage. En septembre de la même année s’est ouvert le procès du meurtre de son mari, au cours duquel Sakineh a été innocentée de toute complicité de meurtre, et où le cousin du mari, Issa Tahéri, a été reconnu coupable et a été condamné à être pendu. Après le pardon accordé par le fils de Sakineh, celui-ci est aujourd’hui libre.

C’est à l’occasion de ce procès, et malgré l’acquittement de Sakineh, que le juge islamique du tribunal de la province d’Oskou (nord-ouest de l’Iran) a réouvert son dossier d’adultère et a décidé de la condamner à 10 ans de prison pour « relation illégale », ceci alors que selon le droit iranien, une personne ne peut être condamnée deux fois pour le même crime. Et c’est lors de la confirmation de la peine par le juge islamique de la ville de Tabriz (chef-lieu de la province) puis par celui de Téhéran, que la peine a été commuée en lapidation, toujours uniquement pour « relation illégale ».

Or fin août 2009, deux semaines après des « confessions télévisées » durant lesquelles Sakineh a avoué avoir joué un rôle dans le meurtre de son mari (son avocat nous a informé que ces confessions avaient été obtenues « après deux jours de torture »), Javid Houtan Kian nous confie que les deux exemplaires du dossier du meurtre du mari, clos depuis septembre 2006, ont été dérobés dans son cabinet, ainsi que dans le bureau du juge islamique, et nous avoue qu’il craint que les autorités iraniennes ne soient en train d’y ajouter des éléments, maintenant qu’elles ont obtenu de Sakineh des « aveux ». Étonnamment, c’est depuis ce vol que la République islamique insiste sur l’accusation de « complicité de meurtre », dont Sakineh a pourtant été innocentée quatre ans plus tôt, pour incriminer davantage l’Iranienne et ainsi diviser la communauté internationale.

Le timing de l’annonce du procureur général de l’Iran n’est pas innocent. Elle intervient une semaine après une vaste campagne internationale, tant médiatique que diplomatique, menée pour empêcher la pendaison de Sakineh, après qu’une lettre de la Cour suprême iranienne approuvant son exécution rapide a été envoyée à la branche d’application des peines de la prison de Tabriz où elle est enfermée depuis maintenant quatre ans.

Le cas de l’Iranienne a dominé les débats hier aux Nations Unies lors de la nomination des membres de la nouvelle agence ONU Femmes, destinée à garantir le droit des femmes dans le monde entier, et dont l’Iran était supposé devenir l’un des 41 membres du Conseil d’administration. Après d’intenses pressions diplomatiques menées notamment par les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et l’Australie, c’est finalement l’Arabie Saoudite et le Timor Oriental qui lui ont été préférés.

La lauréate du prix Nobel de la paix de 2003, Shirin Ebadi, a qualifié mardi de « plaisanterie » l’entrée de l’Arabie saoudite, et celle probable de l’Iran, son pays d’origine, au conseil d’administration de la nouvelle agence ONU Femmes. Shirin Ebadi a ainsi expliqué qu’en Iran « la vie d’une femme équivaut à la moitié de celle d’un homme » et a estimé que la situation des droits des femmes est encore pire en Arabie saoudite, où celles-ci n’ont notamment pas le droit de conduire. « Je pense que ce conseil, avec les membres que l’on y voit maintenant, n’ira nulle part », a conclu le prix Nobel de la paix 2003.