La justice française vient de me condamner, modestement il est vrai, parce que j’avais usé de ma liberté d’expression l’été 2009. Ulcéré par la propagande anti-israélienne d’un fanzine gratuit distribué par un réseau de cinémas du sud de la France, j’avais réagi, de toute ma fougue, pour démontrer ce qui me semble aujourd’hui la réalité : l’antisémitisme est de moins en moins d’extrême-droite (les théories sur les races ont fait long feu) mais d’extrême-gauche : une certaine lecture altermondialiste du monde fait le nid d’un antisionisme systématique qui abrite en son sein une forme apparemment nouvelle d’antisémitisme, celle ancestrale, du rapport des juifs avec l’argent. Israël est puissant, puisqu’allié du monde capitaliste, incarné par les Etats-Unis. Dès lors, l’Etat d’Israël devient, entre autres, le biais qu’empreinte la pulsion antijuive pour s’exprimer (et s’exprimer de moins en moins insidieusement). Je vous le dis : bien que respectant infiniment les jugements, bien que parfaitement averti que le tribunal m’a pénalisé en son âme et conscience, il ne m’est pas agréable d’être sanctionné pour avoir pensé ce que je pense, pour avoir écrit, avec outrance mais bonne foi, ce que j’avais envie d’écrire. Combien d’hommes, de femmes, sont morts pour m’octroyer en France cette liberté prodigieuse : exprimer, tant bien que mal, du côté de ce que je crois être le bien et me battant contre ce qui me semble incarner le mal, des opinions personnelles. Et les exprimer aussi personnellement dans le fond que dans la forme. Au pamphlet, je réponds pamphlétairement. A la science, je réponds scientifiquement.

Quand je choisis la fougue, c’est pour des raisons précises, c’est pour rétorquer violemment à la violence écrite par d’autres et lue par moi. J’aime la littérature, les mots, parce qu’ils permettent ce qu’aucune société ne saurait tolérer dans ces rues : la loi du Talion. Inadmissible avec les actes, elle est parfaitement adaptée au langage, à ses foudres, à ses engouements. Il y a pour les luttes, les joutes verbales, idéologiques, une grande et immense tradition dans les lettres françaises. Je ne vais citer, pour aller très vite, que les noms de Péguy, Aragon, Bloy, Breton, Suarès, Mauriac, Revel. On ne les lit plus suffisamment, et c’est assez dommage. Il y a encore Delfeil de Ton, à gauche. Marin de Viry, à droite. Quand, au contraire, je choisis la méthode scientifique pour répondre à la science, je rentre dans la peau du diplômé de Sup de Co ou de Sciences po que je fus, et dans le calme, avec un plan bien structuré, je reprends paragraphe par paragraphe les arguments de mes adversaires et je réponds en trois parties, je produis une riposte plus universitaire, plus scolaire, parfois étonnamment plus efficace, sinon moins fulgurante.

Les adversaires, j’adore ça. Rien ne m’est plus précieux, pour affirmer ma vérité, et d’abord l’affirmer en moi-même, au sens de la raffermir, que d’être en total désaccord de pensée avec tel individu, tel intellectuel, tel courant, telle école. Ou tel groupe. Telle mode. Je sais qu’il est souvent vain de vouloir convaincre celui qui ne pense pas comme nous. Je crois, cependant, qu’il est bien plus vain encore d’utiliser la loi pour le punir. La loi Gayssot, par exemple, me semble être une mauvaise loi. Du moins en partie. La partie de cette loi qui punit les propos racistes, antisémites et xénophobes ne me pose aucun problème. Pour une raison simple : en insultant un Noir, un Arabe, un Juif, leur reprochant ce qu’ils sont au plus profond d’eux-mêmes, l’insulteur sait ce qu’il fait. Il ne fait pas qu’insulter : il s’attaque à la dignité humaine de sa victime, qu’il entend rabaisser, humilier, souiller. Cela n’est pas acceptable, cela doit être puni. Sachant toutefois que, punissant un propos raciste, on ne punira jamais le racisme lui-même : les mots en « isme », appartenant non aux faits mais à l’idéologie, ne sont jamais saisissables. On ne peut jamais avoir de prise sur eux. Ils glissent. Le racisme de celui qui aura été puni pour avoir traité de « nègre » un Africain continuera sans doute à couler dans les veines du fautif. Il n’en reste pas moins qu’il est extrêmement salubre qu’une société punisse, et de manière systématique, ces manifestations de haine visant à rabaisser la dignité de l’autre, quel qu’il soit. L’autre est sacré. La différence est sacrée. Elle nous enrichit, nous améliore, nous instruit : et nous permet souvent de nous trouver nous-même.

En réalité, c’est l’autre partie de la loi qui me pose un problème. Je ne suis pas d’accord avec l’interdiction faite aux historiens révisionnistes et négationnistes de publier leurs travaux. Les raisons de mon opposition sont multiples, je vais les exposer maintenant.
La première raison, c’est que les révisionnistes sont mes ennemis. Et que, par conséquent, si leurs travaux, si leur idéologie (je pense que c’en est une, et des plus dangereuses) ne parvient pas à percer au grand jour, je n’aurai personne en face de moi. Aucun visage, aucun texte à combattre. Je me battrai contre des hommes invisibles, des adversaires que la loi Gayssot m’empêche de considérer comme des adversaires puisqu’elle fait tout pour empêcher leur existence. Leur inexistence juridique est grave : elle en fait officiellement, aux yeux de la loi et par conséquent de la société, des spectres, des ectoplasmes, des fantômes, des entités floues, vaporeuses, et je ne peux donc rien faire pour les attaquer, les contredire – les ridiculiser, sans me ridiculiser moi-même (puisqu’ils n’existent pas).

La deuxième raison, c’est que vouloir juridiquement anéantir une réalité, une idéologie ou un courant de pensée n’anéantit pas cette réalité. Décidons, dès demain matin, que le cancer est passible de poursuites pénales : les tumeurs et les métastases s’arrêteraient-elles pour autant ? Ces ennemis que je ne puis officiellement pas combattre avec les moyens habituels du débat (scientifique, historique, sociologique, économique, etc.) se moquent bien des lois : ils continuent leurs travaux, et continuent à penser ce qu’ils pensent. Ces travaux ne trouvent contre eux que la justice, mais pas, mais plus les intellectuels ni les historiens. Ces pensées, ces courants n’ont donc pas en face d’eux, dressés contre eux, des interlocuteurs adéquats, à la hauteur : ceux qui pourraient les contredire, qui voudraient les contredire n’ont pas le droit de le faire non plus ; car ce serait rendre public quelque chose qui n’a pas le droit de l’être. Autrement dit, la critique, la contestation des écrits (interdits de publicité) des révisionnistes ne sauraient être rendues publiques non plus, en ceci qu’elles sont obligées (même pour les contrecarrer) de citer ces thèses.

La troisième raison est encore plus logique, plus évidente. C’est qu’elle affaiblit les opposants au révisionnisme. Moi, je pense, de toutes mes forces, que les révisionnistes et les négationnistes (nous n’allons pas entrer ici dans les coulisses de ce qui les sépare) se trompent. Se fourvoient. Se trompent gravement, et se fourvoient violemment. C’est ma conviction, intime. Mais si je demande aux tribunaux d’appuyer cette conviction, si je demande l’assistance d’une juridiction aussi solennelle, aussi forte, aussi puissante que celle du tribunal, j’affaiblis cette conviction. Je fais l’aveu de sa fragilité. J’avoue implicitement qu’elle n’est pas si solide que cela. J’admets que seule, sans institution pénale derrière, cette conviction ne fait pas le poids. Autrement dit, c’est là que, vraiment, je reconnais que la position adverse a des provisions, qu’elle a de quoi me faire peur, m’intimider. C’est là que je reconnais que ses raisonnements sont susceptibles de pouvoir m’impressionner, voire me déboussoler. J’ai peur de l’intelligence de l’ennemi.

D’où la quatrième raison : il y a des historiens, en France, qui sont parmi les meilleurs du monde. Il y a des instituts de recherche sur la Shoah, et des scientifiques hors pair en qui j’ai (certains furent mes professeurs à l’Institut d’études politiques de Paris) une confiance sans borne. Leur travail, en partie, consiste à réprimer par des arguments historiques, scientifiques, ce que la loi a choisi de réprimer, automatiquement, par des arguments juridiques, pénaux. Ce qui revient à éviter une confrontation, un affrontement, très utile à mon avis, très fructueux, entre des grands et vrais historiens et des historiens qui s’égarent, des historiens qui n’en sont pas. Mais encore faut-il avoir la possibilité, autrement que par sanction d’un juge, de démontrer ce que leurs raisonnements ont de spécieux, leurs méthodes de fallacieuse. Pierre Vidal-Naquet vaut tous les juges du monde, et tous les procureurs de la terre. Quand Vidal-Naquet écrit, en réponse aux thèses de Robert Faurisson, Les assassins de la Mémoire, il ne vient pas avec un manuel de Morale : il vient avec des preuves, avec des éléments historiques, avec une méthode scientifique éprouvée, il vient avec des arguments : il fait de l’Histoire. Il se bat, non pas au nom de ce qu’on voudrait que l’Histoire soit, mais au nom de qu’il croit légitimement qu’elle est.

Car la cinquième raison pour laquelle je suis contre la loi Gayssot est celle-ci : sanctionnant les révisionnistes, elle donne à ces derniers le sentiment, juste hélas, qu’il y aurait une manière officielle d’écrire l’Histoire, c’est-à-dire une manière choisie, entérinée par les instances officielles de la République. C’est très dangereux. Car ce n’est pas le cas. Le cas de Vichy illustre bien la difficulté qu’il y a à vouloir figer une fois pour toutes la vérité : ce qui était officiel hier, demain sera considéré comme indigne. La loi n’est pas là pour dire ce qu’est l’Histoire. Elle n’est là ni pour en influencer le cours, ni pour en proposer l’interprétation. L’Histoire, même si cela peut causer les pires frayeurs, appartient à tout le monde. Et sa lecture doit pouvoir être faite par tous ; y compris par les salauds. Car l’Histoire est aussi, il s’agit de l’accepter, la propriété des salauds. Ils en furent jadis les acteurs, ils en sont aujourd’hui pour partie, également, les propriétaires. Comme nous. (On voudrait que l’Histoire n’appartienne à personne : elle appartient à tout le monde.) Ce partage de l’Histoire, cette lutte au nom du sens de l’Histoire doit se faire partout, mais pas dans les tribunaux. La justice appartient à l’Histoire, mais l’Histoire n’appartient pas à la justice. La justice est contenue dans l’Histoire, mais l’Histoire n’est pas contenue dans la justice. Elle prendrait trop de place.

La sixième raison qui me fait demander l’abrogation de cette loi naïve et inefficace (loi qui croit que masquer la réalité c’est l’éradiquer, qu’empêcher sa visibilité c’est la combattre) tient à la bêtise de l’immense majorité des négationnistes et des révisionnistes eux-mêmes. Il suffirait de faire venir une fois chacun des révisionnistes à la télé pour qu’ils se détruisent tout seuls, tellement leurs arguments sont pauvres, tellement leur manière d’argumenter surtout fait de la peine. Alain Guionnet, Michel Sergent, Joël Bouard, Henri Lewkowicz se grilleraient en une minute si on leur donnait publiquement la parole : ils ne savent ni penser, ni dire, ni démontrer, ni prouver, ni dialoguer, ni convaincre. Je rêve qu’ils puissent s’exprimer en toute liberté : ils sont leur pire ennemi. Même chose pour Roger-Guy Dommergue : trente secondes de n’importe lequel de ses laïus ferait fuir le plus nazi des nostalgiques de Berchtesgaden.

Ce qui me mène à la septième raison : leur cantonnement obligé à l’ombre et aux coulisses leur confère une aura mystérieuse, diabolique (parce que diabolisée) qui les rend attractifs pour un public mal dans sa peau, égaré, haineux, suicidaire, provocateur, fragile ou peu cultivé. La loi Gayssot, autrement dit, les décore perpétuellement d’une médaille de l’infréquentabilité, les pare d’un habit de soufre qui fabrique de la tentation, de l’attraction, du désir. On s’y intéresserait de fait beaucoup moins si, plutôt que de vouloir percer leurs ténèbres, on laissait éclater au grand jour leur insondable médiocrité.

Seuls sont « sérieux », ou plutôt « font » sérieux, dans leur délire révisionniste, Robert Faurisson et Serge Thion. Rajoutons Henri Roques et Pierre Marais. Cela fait beaucoup. C’est peu, mais c’est beaucoup. Et la huitième raison est donc que ce sont ceux-là, les coriaces et les vrais, les révisionnistes « intelligents » qu’il faut désigner d’abord pour mieux les combattre ; car la loi Gayssot a cet autre tort, à mes yeux, de mettre sur un même plan, sur un plan de stricte égalité, les révisionnistes médiocres et les révisionnistes brillants, les révisionnistes caricaturaux et les révisionnistes subtils, les révisionnistes évidemment aberrants et les révisionnistes plus vicieux, plus malins, plus roués, plus méticuleux, plus intelligents.

La société ne veut pas entendre les thèses révisionnistes. Elle ne veut pas en entendre parler. Mais elles existent, elles se répandent même, sous le manteau, au prorata de la législation qui veut, qui croit les étouffer. La justice punit ce repoussoir, mais fabrique une attraction. Par ailleurs, je le redis, c’est un manque de confiance en nos historiens, et à leur capacité de réflexion, de persuasion, de pédagogie, mais aussi de combat, que de faire taire des ennemis qui, bien qu’assassins comme le disaient Vidal-Naquet, se posent évidemment chaque jour (à juste titre, mille fois hélas !) en victimes. La suppression de la loi Gayssot, évidemment, est attendue et voulue par tous les Faurissons de France. Acceptons de l’abroger, ce dans le but d’avoir enfin un terrain de lutte, très sanglant, un ring, sans concession, sur lequel nous pourrons dire à ces gens, avec nos mots à nous, nos convictions à nous, les poings de nos arguments à nous, à quel point la liberté d’expression les mettra plus rapidement au tapis que tous les bâillons et toutes les interdictions inefficacement inventées pour les faire taire en apparence.

22 Commentaires

  1. Ps: certaines personnes citant Voltaire croit-on ( il n’a jamais dit ça): je me battrai pour que vous puissiez exprimer vos idées etc sont les premiers a porter plainte lorsqu’on leur vole une petite cuillère. Si celui à qui ils veulent à toute force permettre de s’exprimer, les promet à la mort, je doute de la véracité de leur propos !
    Lorsque vous citez la  » Loi du Talion », Mr Moix, je vous rappelle qu’il s’agissait d’une loi d’équivalence ! pour une dent, « pas plus » d’une dent etc et non pas : pour un nazi de tué… Oradour !

  2. Je suis en total désaccord avec ce qu’écrit et pense Mr Moix. Ce que dit Mr Badinter, me semble curieux. Le Parlement ne « dit » pas l’histoire, pas plus qu’il ne la « fixe » ! La loi Gayssot « contient » le négationnisme. Vous appellez de vos voeux, Mr Moix que les négationnistes « existent » afin…de les contredire ! Ils n’attendent que cela. Des tribunes, des débats etc Même avec vos arguments irréfutables, ils arriveraient a semer le trouble… un jeune qui assistera à ce spectacle finira par se dire : bon, la vérité doit être au milieu, selon l’adage bien connu, car vos fameux adversaires seront des professeurs, des « historiens » etc
    Je suis pour la liberté de parole, naturellement, mais pas pour celle de ré-assassiner les morts !

  3. L’histoire est écrite, il y’a des preuves de l’existence des camps d’extermination systématique, il y’a des preuves de l’existence du génocide par balle en ex-URSS. Faut arrêter au bout d’un moment avec la mauvaise foi, on sait que nous(Européens) avons génocidé des juifs il y’a 70 ans. Historiquement c’est courant de massacrer des juifs, on a une longue tradition dans ce domaine entre la France, l’Italie, l’Allemagne, etc… Pourtant on voit personne prétendre que non, les juifs de Worms n’ont pas été massacrés. Trop vieux peut être pour que cela serve les desseins politiques de certains ?

    La liberté d’expression c’est la liberté de dire ce que l’on veut, du moment qu’il ne s’agit pas de fumisterie digne d’un délire du premier toxicomane venu (racisme, négationnisme, etc…). Dois-je vous rappeler que la liberté d’expression à l’anglo-saxonne donne du poid à l’islamisme en Angleterre ? Ou aux différents mouvements néo-fasciste aux USA ?

    Quand au ring de guerre, quel est l’intérêt de démonter systématiquement l’argumentaire d’un révisionniste ? C’est d’une facilité navrante pour n’importe quel historien qui se respecte. Il y’a d’autres luttes que celles-çi et je pense qu’il faut absolument arrêter de se prendre le chou avec ces histoires de négationnistes, en taule et pis c’est tout. Un criminel est un criminel merde.

  4. La phrase attribuée à Voltaire est bien déformée :

    « J’aimais l’auteur du livre de l’Esprit [Helvétius]. Cet homme valait mieux que tous ses ennemis ensemble ; mais je n’ai jamais approuvé ni les erreurs de son livre, ni les vérités triviales qu’il débite avec emphase. J’ai pris son parti hautement, quand des hommes absurdes l’ont condamné pour ces vérités mêmes. »
    Voltaire, Questions sur l’Encyclopédie, article Homme. Passage déformé en 1906 dans The Friends of Voltaire, livre de Evelyn Beatrice Hall écrivant sous le pseudonyme de S. G. Tallentyre, et résumant ainsi la position de Voltaire : « I disapprove of what you say, but I will defend to the death your right to say it ».

  5. Ça coule de source. Un classique qui ne devrait pas vieillir. « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai pour que vous puissiez le dire. »

  6. À la question de Montaigne : « Est-il chose qu’on vous propose pour l’avouer ou refuser, laquelle il ne soit pas loisible de considérer comme ambiguë ? » (Essais, II, xii, page 503 de l’édition PUF/Villey), Kant répondait : « Chacun est, qu’il le veuille ou non, forcé de croire à un fait tout autant qu’à une démonstration mathématique, pourvu que ce fait soit suffisamment avéré. » (Kant, Qu’est-ce que s’orienter dans la pensée ?, 1786 ; traduction Pierre Jalabert, in Œuvres philosophiques, tome 2, Gallimard, 1985, collection Bibliothèque de la Pléiade).

    D’où la nécessité de pouvoir examiner librement si le fait est, ou non, avéré. À défaut de ce libre examen, on porte tort, comme le notait John Stuart Mill (John Stuart Mill, On Liberty, chapter II, « Of the Liberty of Thought and Discussion », 1859)), au développement mental que ceux que l’on intimide par la crainte de l’hérésie. Il y a là un interdit de type religieux défavorable à la fonction intellectuelle (cf Sigmund Freud, L’Avenir d’une illusion, 1927, chapitre IX.).

    • Etrange chose de voir convoqués à votre table tant de penseurs et de philosophes. Pourquoi pas les historiens? Ils me semblent autrement concernés par le sujet ne pensez-vous pas?

  7. En tant qu’intellectuel, je ne vois pas comment je pourrais être favorable à la censure, même contre des idées aussi peverses et imbecilles que les « idées » révisionnistes.
    Mais je ne comprends pas pourquoi, dans votre papier, vous commencez par assimiler la condamnation de la politique d’Israél à de l’antisémitisme. Ca n’est pas nouveau, c’était déjà le point de vue de Vladimir Jankélévitch. Mais il aurait mieux fait de se taire. C’est vraiment grossier. Je croyais qu’on osait plus faire cet amalgame après Gaza, et la politique de Netanyaou… Je pense au contraire que les personnes qui se sont tues dans les années trente quand les nazis persécutaient et assassinaient les juifs allemands avaient la même absence de courage et d’honneur que ceux qui, aujourd’hui, laissent assassiner le peuple palestinien.

  8. @patrick : Les mouvements de « cinglés » aux USA ont le droit de s’exprimer publiquement et les faits de violence sont fréquents. Le pire des racismes s’exhibe y compris lors des enterrements face aux familles en deuil…

    Mais l’objet ici n’est pas la libre expression du racisme, mais celle concernant le négationnisme. Je comprend les arguments exposés par Yann Moix sans être convaincu.

  9. J’aime les propos vifs, le verbe acerbe de Yann Moix. Je le préfère toutefois lorsqu’il est moins sujet à la passion (amalgame entre antisémitisme et critique de la politique israélienne ndlr).
    Vous nous expliquez, avec une pertinence certaine, que le débat relatif au négationnisme doit être porté en place publique afin qu’il ne soit pas éradiqué de la conscience collective et qu’il puisse être combattu. Qu’il doit absolument exister pour permettre l’expression de nos intellectuels et de leur argumentaire irréfutable. Qu’il est préférable d’avoir un ennemi libre de s’exprimer plutôt qu’un ennemi réduit au silence par la justice.
    Tout ceci semble intellectuellement recevable et fondé, mais par ce raisonnement, vous ignorez une tendance sans cesse réaffirmée du législateur contemporain que le juriste que je suis se doit de vous rappeler : la moralisation des comportements. Napoléon Bonaparte considérait déjà que la morale publique était le complément naturel de toutes les lois. Or, qu’il y a t-il de plus immoral que la négation d’une réalité historique aussi insupportable que les traites négrières, le génocide Rwandais, ou en l’occurrence la Shoah ? La loi Gayssot est donc une loi moralisatrice, comme il en existe des dizaines dans notre législation, mais elle ne crée pas de spectres, bien au contraire. Elle reconnait l’existence d’une minorité qu’elle entend astreindre au silence par le biais de sanctions judiciaires. Aujourd’hui, force est de constater que l’atteinte à la morale historique se règle davantage dans les prétoires que sur les pages blanches des ouvrages des intellectuels que vous citez.
    Alors bien sûr, comme vous le dites justement, l’Histoire appartient (malheureusement ?) à tout le monde et chacun devrait pouvoir se sentir libre de s’exprimer, mais comprenez qu’un Etat tel que la France ne peut implicitement cautionner les propos négationnistes de certains de ses ressortissants. Alors pour l’exemple, on édicte des sanctions, symboliques soient-elles, afin de sauvegarder les apparences et se poser en garant de la Morale, en protecteur de l’Histoire telle qu’elle est enseignée dans nos écoles et nos universités.
    S’agissant néanmoins de votre nécessité de vous confronter à vos ennemis idéologiques, votre besoin d’affirmer et d’affermir la vérité en laquelle vous croyez, je crois qu’il vous sera toujours possible, par le biais des différentes tribunes qui vous sont offertes, de vous exprimer et de convaincre votre auditoire du bien fondé de vos arguments. Je vous écouterai d’ailleurs avec attention. Il n’y a pas « d’ectoplasme législatif » Monsieur Moix, il n’y a que les fantômes que l’on veut bien se créer.

  10. Et l’on peut aller plus loin – amha – en disant que cette loi est l’une des racines d’un nouvel antisémitisme en France. (avec la politique de colonisation d’Israël)
    On ne peut pas nier la shoah, mais on peut nier l’esclavage, les génocides arménien ou rwandais, les exactions de l’armée française en Algérie, etc, etc… sans se retrouver au tribunal.
    De fait, cela crée une différentiation, une classification de la douleur qui édicte que celle des juifs est supérieure à toute autre et ne peut être contestée, ce qui a pour effet d’enrager les esprits simples, comme celui de Dieudonné par exemple.

    On défend les caricatures de Mahomet, (à juste titre) on ridiculise le Pape, (à juste titre) on se moque des créationnistes, (il y a de quoi) mais on ne peut pas faire un sketch de mauvais goût sur les colons israéliens sans voir la presse se déchainer.

    Deux poids, deux mesures; et l’injustice engendre la haine, celle des juifs en l’occurrence.

    Mais ne rêvons pas: cette triste loi, reflet d’une triste époque ou le politiquement correct est roi, ne sera jamais abrogée.

  11. C’est absurde de condamner les négationnistes : C’est l’aura d’interdit qui leur donne toute leur légitimité. Imaginons qu’un type, se prétendant historien, arrivait et disait « Les indiens d’Amérique n’ont pas été exterminés ». Tout le monde le prendrait pour un zozo. Personne ne le prendrait au sérieux. Si un type arrive en disant « Les chambres à gaz n’ont jamais existé » il suffit de faire la pédagogie nécessaire pour montrer que c’est absurde. Se mettre à hurler « Salaud, ordure, faites le taire ! Emprisonnez-le ! », c’est immédiatement lui donner l’aura de celui qui sait, qui révèle un secret, et qu’on veut réduire au silence parce que ce qu’il a à dire est trop dérangeant. Et ça n’empêche pas ceux qui veulent soutenir ces thèses de le faire. De manière souterraine, occulte, comme un secret formidable qu’on se partage entre initiés.

  12. Bravo, vous êtes courageux, cette loi est en effet liberticide par ricochet.

  13. Votre raisonnement, Cher Mobnsieur Moix, me parait impeccable. Et la caution de Robert Badinter me semble irréfutable et de parfait aloi.

    Seul le dégoût que m’inspirent certains signataires de la pétition et l’origine même de cette pétition me retiennent de la signer.
    N’y aurait-il pas une solution ? Susciter une autre pétition de même incitation à abroger cette loi stupide mais où ne seraient admis, parce que la signature validerait aussi quelques autres points intangibles, que ceux qui ne s’abritent pas derrière un affichage de « bonne volonté » quelques ( ou nombre de ) sinistres qui nourrissent de noirs desseins et de brunes pensées.

  14. Après avoir taxé Clint Eastwood de fascisme en des temps maöistes où Dirty Harry devenait un héros populaire des pays de l’Ouest, Alain Badiou nous explique dans son dernier essai en quoi la scène finale du chef-d’œuvre de Don Siegel symbolise la rébellion de l’homme seul contre la loi, une loi incarnée par le tueur récidiviste qu’elle a remis en liberté. Il feint d’oublier que l’inspecteur Harry est lui-même un représentant de la loi, prenant ici le relais d’un appareil judiciaire corrompu. Il renforce notre faiblesse actuelle face à l’émergence de la radicalité religieuse ou politique à une échelle mondiale, cédant à un penchant d’une partie de nos élites à pervertir le sens des vieux concepts avant que d’asseoir les nouveaux sur leur prétendu substrat, et en particulier, celui d’une haine structurelle envers tout ce qui touche de près ou de loin à la notion de loi.
    Un vaccin n’est pas un aveu de faiblesse vis-à-vis d’un virus. La loi Gayssot n’induit pas notre faiblesse ou notre trouille à l’idée d’affronter l’Adversaire de Soi, elle affirme notre force à son endroit. Elle aussi porte en elle une histoire, celle d’une lutte des plus courageuses contre l’infame persistance d’une parole pestilentielle dont le mode de propagation œuvrait de propagande optimale, et à laquelle l’habileté de ceux qui l’émettaient à caresser leurs obligés au-dessous de la ceinture, conférerait toujours son autorité, quand même un Vidal-Naquet viendrait se rabaisser à la contrecarrer.

    • P.S. : À toutes fins, la loi sera le mot. La loi Siegel, ou la loi Gayssot.

  15. Bonjour,
    L’argumentation me plaît…beaucoup.
    Aux Etats-Unis, certains « mouvements » de CINGLES ont le droit de s’exprimer publiquement me semble-t-il?
    Le racisme y est-il plus fort?
    L’antiracisme plus faible?
    @ Vincent: vous avez dû vous tenir très éloigné des médias cette dernière décennie…
    Bon week-end

  16. Brillant. Je n’étais pas pour la loi Gayssot.
    Mais je suis particulièrement sensible à l’argument de cet article.
    Pour lutter contre certaines idées encore faut-il les voir formulées.
    Et les négationnistes sont facilement combattables lorsqu’ils essayent de défendre l’indéfendable.
    Bravo Badinter et Moix. Très fin. La vérité n’est pas toujours là où on croit la voir…

  17. Bonjour,
    je suis journaliste au Monde et je cherche à vous joindre au sujeet de votre position sur la loi Gayssot.
    Pouvez-vous me contacter par retour de mail?
    Merci par avance

    Abel MESTRE

  18. Je suis inquiet.
    J’ai peur de la dérive intellectuelle que vous illustrez par vos propos. Sachez que je me considère humaniste et que mes valeurs reposent sur les fondamentaux de gauche incarnés par des hommes tel que Jaurès, Hugo, Môquet. Je n’adhère à aucun parti et si je juge, au regard de ces valeurs, les hommes et les femmes, c’est sur leurs actes. Indépendamment de la couleur de leur peau ou de leur croyances religieuses (je suis athée incurable).
    Cependant avec le recul que me permet cette position et l’attention que je porte sur le sujet que vous développez, je ne peux que me poser certaines questions qui me mettent mal à l’aise.
    Vous dites : « l’antisémitisme est de moins en moins d’extrême-droite (les théories sur les races ont fait long feu) mais d’extrême-gauche ».
    Cela en réaction à : « la propagande anti-israélienne d’un fanzine gratuit distribué par un réseau de cinémas du sud de la France ».
    Ce qui me choc donc et qui m’ inquiète est bel est bien cette amalgame étrange est trop souvent systématique entre la critique d’un gouvernement et l’antisémitisme. Si je critique le gouvernement américain suis je obligatoirement raciste envers le peuple américain? Si je critique le gouvernement de Sarkozy suis je obligatoirement raciste envers le peuple français ?
    Oui Israël est sur une ligne capitaliste, comme la France et bien d’autres pays, oui le libéralisme est incarné symboliquement par les Etats unis, mais le soutient à Israël de la part de cette super puissance n’est il pas à considérer comme une position géostratégique plutôt qu’idéologique ?
    Sans vouloir vous offusquer, et en toute honnêteté, peut être naïvement je ne sais pas, cette posture ne relève t elle pas d’ une forme de paranoïa, auto entretenue? Mon expérience personnelle des relations humaines avec mes concitoyens est pourtant à l’opposé de votre crainte d’un retour de l’antisémitisme. J’ai au cours de ma vie bien plus entendu et vu des paroles et des actes racistes à l’encontre les « arabes », et par symétrie contre les « Gaulois ». Pour autant, sensible à la questions des discriminations, cette inquiétude que vous mettez en avant m’a fait me pencher sur la question spécifique à l’antisémitisme et j’ai cherché à savoir si vos inquiétudes étaient fondées auquel cas je me serais engagé contre cette « montée d’antisémitisme » avec mes modestes moyens.
    Je n’ai pour l’instant et j’en suis heureux, vu aucun signe qui pourrait le laisser croire. J’ai par contre vu un documentaire de Yoav Shamir « Defamation » qui m’a fait me poser de nouvelles questions. J’aimerai avoir votre avis sur ce documentaire.

  19. Papier intéressant et qui propose des arguments nouveaux en faveur de l’abrogation de la loi Gayssot.
    Je ne partage pas du tout ce point de vue, précisément parce que je ne vois pas le débat public comme une bagarre de rue.
    J’y reviendrais plus longuement dans un prochain papier.