Pierre Cardin a installé lui-même dans son Espace avenue Gabriel un dispositif pour exposer un ensemble d’images parties-culières qu’il collectionne, du peintre japonais Katsushika Hokusaï (1760-1849), contemporain de Voltaire et de Victor Hugo, de Napoléon et de Louis-Philippe, en tout cas de Sade et de ses premiers lecteurs secrets mais assidus (dont Flaubert et son Gustave, disciples passionnés).

Hokusaï impressionnait les impressionnistes. Monet, Gauguin, Van Gogh. Les frères Goncourt en furent toqués. Aujourd’hui pas de mangas sans lui. Il est plus connu par ses fabuleuses estampes de paysages, surtout celles qui comportent, plus ou moins proche ou éloignée, la silhouette unique du mont Fuji : icône du Neutre intense, et des deux sexes ensemble, pourtant aucun. L’admiration totale pour lui, jusqu’à la citation mimétique mais dans une transcription radicale, va faire exploser, comme une floraison soudaine de fleurs de cerisiers, une des plus éclatantes réussites du japonisme français, ma préférée, ce prodige de finesse, d’élégance, de sûreté de trait, de grands espaces aérés, de vastes ciels sur un Paris perdu alors en pleine jeunesse : la série des 36 vues de la Tour Eiffel d’Henri Rivière, en 1902 — tellement aimée de Roland Barthes.

Avec Pierre Cardin en obscénographe intelligent et sensible de sa propre collection d’estampes érotiques de Hokusaï, ce sont d’autres sortes de monts, pas du tout Fuji-tifs, d’autres sortes de tours, plus massives et moins effilées, qu’il nous est offert de contempler : « temples » naturels assortis de « vivants piliers » ( les Fleurs du Mal et/ou les Mœurs du Phalle).

Des monts Fuji “de Vénus” aux cratères volcaniques, ornés d’une végétation pileuse fournie, gazon fort peu maudit, détaillé et fouillé.
Des tours Eiffel charnues, démesurées, parcourues de veines alambiquées et assorties de sacoches tapies dans des buissons touffus comme des piquants de châtaignes.

Du désir de fusions serrées entre l’Orient et l’Occident, tout en maintenant leurs différences, Pierre Cardin se fait le Casanova entremetteur, au sens élevé du terme : celui du poème de Baudelaire Élévation, érection de l’Esprit au maximum d’Eros et de libido ; celui qui rend sa noblesse à la première syllabe du culturel.

On vous remet une petite bougie très lumineuse dans un verre translucide, et tenant la chandelle vous levez un rideau noir avant de vous… introduire dans une savante pénombre, plus goûteuse, respectueuse de la délicatesse des œuvres, qui préserve leurs forces de la lumière électrique trop brute. J’ai repensé à l’Éloge de l’ombre de Tanizaki, révélé par mon maître René Sieffert, traducteur et éditeur de ce texte étonnant ; François
Weyergans s’en enchanta lorsque je le lui transmis.

Par l’exposition Hokusaï, Pierre Cardin s’impose definitely comme le Marco Polo actuel : c’est en Vénitien qu’il unit l’Europe non plus au taureau d’une incarnation divine de Carnaval, exaltée par un autre peintre, le Minotaure Pablo, mais au Japon de soleils tout à fait levants, dans la beauté de puissants déduits d’amore — en effet parallèles à ceux de Picasso.

Il existe au Japon une institution tout à fait concrète, le “trésor national vivant” : une personnalité d’un tel charisme, d’une aura de gloire si prégnante, qu’elle est tenue d’accepter qu’une sorte de culte lui soit voué, simple, immédiat et sans affectation. Avec la mondialisation, cette strate mentalitaire nippone a encore élargi et consolidé son statut, confirmant sa performance ; par exemple un artiste comme Hokusaï devient par-delà les temps et les espaces un “trésor international vivant”, par-dessus tout vitalisant.
Et depuis quelques décennies, c’est le cas de Pierre Cardin, au Japon-même : d’abord shogun de la Mode, puis empereur du goût exact. Mais tout trésor qu’il soit, il reste bien vivant : avec son festival de musique et d’opéra chaque été au château de La Coste — celui qui fut la demeure d’un marquis nommé “divin”, et qu’il a acquis par respect pour cet écrivain capital —, avec son exposition Hokusaï cet hiver à Paris, il prouve qu’il ne se contente pas d’inaugurer les chrysanthèmes, fleur du Tennô.

Un célèbre Hokusaï animalier, sur le thème : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des pieuvres d’amour ».
Un célèbre Hokusaï animalier, sur le thème : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des pieuvres d’amour »

Hokusai à l’Espace Cardin
Du 18 Octobre au 2 Novembre 2010
Renseignements au Studio 55.
Tel: 01 44 94 06 58

Espace Cardin
1 avenue Gabriel
75008 Paris
Métro Concorde (ligne 1, 8 et 12)

3 Commentaires

  1. Pour compléter ce que dit Louise Michel, l’expo est ouverte du mardi au samedi, de 11 à 18h. Elle est jumelée avec une seconde expo, Stimuli, présentant l’érotisme dans l’art urbain et contemporain. 12 artistes à parité d’hommes et de femmes.

  2. L’Espace Cardin se trouve entre l’Elysée et les Champs-Elysées, au numéro 1 de l’avenue Gabriel, en face des ambassades des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

    Au métro Concorde des lignes 1, 8 et 12.

    L’exposition Hokusaï a lieu jusqu’au 2 Novembre 2010.

  3. je trouve cet article sur les oeuvres japonaises de l’Espace Cardin tout à fait intéressant et je vous suggère de m’en procurer l’adresse à Paris ?