Deux journalistes allemands arrêtés. Voici l’information qui fait la Une des médias du monde entier depuis hier, reléguant l’arrestation du fils et de l’avocat de Sakineh aux oubliettes médiatiques. Or s’il y a une information à retenir, c’est bien cette dernière. Les autorités iraniennes viennent de prendre en otage les derniers liens qui nous liaient à Sakineh. Ceux qui depuis trois mois risquent leur vie pour continuer à nous informer sur la réalité du dossier Sakineh, répondant sans hésiter aux fausses affirmations de Mahmoud Ahmadinejad annonçant que Sakineh n’a jamais été condamnée à être lapidée. Contredisant depuis l’Iran celui qui a jeté il y a un an des milliers de manifestants pacifiques en prison. Chers amis, pensez-vous vraiment que Sajjad Ghaderzadeh, fils de Sakineh mais aussi d’Ebrahim Ghaderzadeh, son mari retrouvé mort en 2005, irait jusqu’à désavouer l’honneur de son père en défendant corps et âme sa mère jusqu’à la prison? Aujourd’hui, c’est à des héros que la République islamique vient de s’en prendre.

Je ne remercierai jamais assez Sakineh. C’est elle qui dans son malheur m’a donné la chance de connaître son fils Sajjad. Un jeune homme fier et débrouillard de 22 ans, la tête sur les épaules, qui se tue à la tâche depuis maintenant quatre ans de 9 heures du matin à 23 heures en tant que poinçonneur des bus pour subvenir aux besoins de sa petite sœur qui comme lui a été rejetée par sa famille. Pourquoi? Tout simplement parce qu’avec cette accusation d’adultère, leur mère a été ridiculisée sur la place publique. Pourtant, Sajjad est courageux. Le jeune homme a tenu à être présent au tribunal devant sa mère, le jour où celle-ci a reçu 99 coups de fouet pour « relation illégale ». Un jeune homme qui souriait malgré lui en me racontant être devenu avocat malgré lui tant il a parcouru les salles de tribunal depuis maintenant 4 ans. À chaque fois, je l’avertissais des risques de ses nombreuses prises de paroles, d’autant plus qu’il savait que son portable était sur écoute. « Ce n’est pas grave. Je n’ai plus rien à perdre », me répondait-il à chaque fois. Sa seule crainte, c’était celle d’être oublié par les médias occidentaux, ou pire, qu’ils se lassent de lui, condamnant sa mère à être exécutée dans le silence. À chaque fois que je lui demandais comment il se sentait, il me répondait simplement: « Merci, comment allez-vous Monsieur », politesse iranienne oblige. « Mais je ne suis pas Monsieur, Sajjad, réagissais-je, nous avons pratiquement le même âge! ». « D’accord Monsieur », répondait-il alors. Cela faisait un mois que Sajjad n’avait plus aucune nouvelle de sa mère. Cela fait deux semaines qu’il commençait à s’impatienter, devant le manque d’avancement du dossier et l’oubli peu à peu de la presse mondiale, ce qui l’a sûrement forcé à accepter cette dernière interview malgré les risques.

Aujourd’hui, le portable de Sajjad, celui qui était toujours à l’affût d’une agréable nouvelle, est éteint. Les autorités iraniennes viennent de s’en prendre à un symbole d’innocence et de courage, et de signer un cruel aveux de culpabilité.

Et que dire d’Houtan Kian, ce jeune avocat renommé de la ville de Tabriz, qui n’a jamais hésité, parfois même pendant des heures, à m’expliquer dans les moindres détails le dossier Sakineh. Avant de connaître Houtan, il est vrai que je me posais des questions légitimes sur la culpabilité de Sakineh. Après l’avoir connu, je n’ai plus jamais douté, preuves à l’appui qu’il n’a pas hésité à m’envoyer. Surtout que Houtan n’est pas le premier venu. En plus d’être l’avocat de Sakineh, il défend également nombre de ses codétenues, attendant elles-aussi avec angoisse dans le couloir de la mort de la prison de Tabriz. Ce sont ces femmes, qui demeuraient le dernier lien entre Houtan et Sakineh, n’hésitant pas à l’avertir lorsque celle-ci a été tabassée pendant deux jours avant de se livrer à des « confessions télévisées ». Malgré le drame que vivaient ses clientes, Houtan me frappait pas sa fougue et son enthousiasme. Parfois, au milieu du récit des multiples tortures qu’il avait dû subir durant les huit mois qu’il avait dû passer en prison parce qu’il avait osé exercer son métier, il se laissait même aller à quelques blagues. Parfois même, bien qu’il savait que son portable était sur écoute, sa fougue l’amenait à révéler à ma grande surprise certains détails secrets qu’il se devait de taire pour sa sécurité. Mais dès que je le sermonnais pour tant de laisser-aller, il souriait lui aussi et me disais de ne pas m’inquiéter, étant donné qu’il était aussi l’avocat de plusieurs agents des services de Renseignement iraniens sur le point de divorcer… À chaque fois que je lui réclamais une photo de lui pour illustrer mes papiers, il prenait sa plus belle pose et soignait dans les moindres détails l’arrière-plan. À chaque fin d’appel, il me lançait chaleureusement: « Que je me sacrifie pour vous Monsieur Arefi, je vous aime beaucoup », tendresse iranienne oblige. Une tête brûlée, voilà comment on peut définir Houtan Kian. Mais un indispensable porteur de vérité, n’en déplaise aux autorités de son pays.

Je n’oublie pas pour autant mes deux confrères allemands, qui demeurent aujourd’hui en prison simplement pour avoir osé exercer leur métier. Surtout que le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Ramin Mehmanparast, vient d’annoncer aujourd’hui que les « deux étrangers qui possédaient des visas touristiques étaient en connexion avec des groupes anti-révolutionnaires », ce qui ne laisse augurer rien de bon. Être accusé de liens avec des groupes anti-révolutionnaires, voilà ce qui vous attend aujourd’hui en Iran si vous osez défendre la vérité. Aujourd’hui il est pratiquement impossible de traiter avec justesse l’actualité iranienne depuis Téhéran avec une autorisation officielle du ministère de la Culture et de la Guidance islamique, sans être arrêté ou expulsé du pays, ma consoeur Angeles Espinosa, correspondante à Téhéran du quotidien espagnol El Pais, à qui on vient d’ ordonner de quitter le territoire pour avoir interviewé le fils d’un Ayatollah dissident, peut en témoigner.

Mais quelle idée de la part du tabloïd allemand Bild, que celle d’envoyer en Iran deux de ses journalistes, sans visa officiel de presse, couvrir un sujet aussi sensible que celui de Sakineh. Pensaient-ils vraiment que les autorités iraniennes, qui ont enfermé depuis l’année dernière le pays sous une chape de plomb, ne se douteraient de rien? En agissant de la sorte, ils se sont jetés dans la gueule du loup, et ont entraîné dans leur chute le fils et l’avocat de Sakineh, qui demeuraient jusqu’ici quelque peu protégés par la médiatisation qu’ils avaient eux-mêmes provoquée.

Aujourd’hui, il faut tout faire, bien évidemment, pour faire sortir ces deux journalistes au plus vite de prison. Mais de grâce, n’oublions pas Sajjad, n’oublions pas Houtan, deux héros sans qui Sakineh sombrera à coup sûr dans l’oubli, ou pire.

4 Commentaires

  1. Il faut que tout le monde se maintienne mobilisé en faveur à la fois de Madame Ashtiani, et de l’interdiction de la lapidation comme peine et moyen de mise à mort. Quelque soit la raison ayant amené cette peine…
    La peine de mort doit être bannie de toutes les législations y compris religieuses. La civilisation mondiale du XXIème siècle a les moyens de se passer de ces peines qui ne sont mêmes pas dignes de quiconque se prétend civilisé…

  2. Comment oublier Sakineh, son fils Sajjad ou l’avocat de sa maman? Juste impossible! J’ai, tous les jours, tant de pensées pour eux! Le cas de Sakineh me touche énormément et me rappelle que tant d’autres subissent la même humiliation, injustice et acharnement! C’est honteux de la part de ce régime de s’acharner de la sorte sur une femme et à présent sur son fils et son courageux avocat! Cette mascarade de procès et les intimidations prouvent une fois de plus, que Sakineh est innocente! Et même, rien ne justifie qu’elle soit de la sorte maltraitée! Ils diront ce qu’ils voudront… Sakineh paie, pour ces mollahs, le crime d’être née femme!

  3. Je ne pense pas que ceux qui ont choisi de ne parler que des deux journalistes allemands aient oublié Sajjad et Houtan. Je penserais même plutôt l’inverse, que si les mots ne parviennent pas à sortir de leurs bouches, c’est parce qu’ils savent que cela n’aurait aucune portée quand c’est précisément un effet de ricochet qu’ils recherchent en mettant au premier plan les ressortissants de l’une des plus grandes puissances économiques mondiales qui elle, pour eux, n’en restera pas là. Je pense que si certains d’entre nous ne parlent pas de Sajjad et Houtan, _ sans doute ne le leur ont-ils pas fait appréhender dans toute la tendresse et l’inquiétude qu’en recouvre le non-dit, _ c’est parce qu’ils ne se trompent pas de victimes, pudeur française oblige…

    P.S. : Bien sûr, il y a tous ceux que la persécution de deux Iraniens innocents laisse froids, mais ne vous méprenez pas sur l’intensité de leur tourment lorsqu’ils évoqueront tout à l’heure celle de deux Allemands, entre deux bouchées de leur steak tartare. Quant au public de M’Bala M’Bala qui se laissera convaincre par l’Infâme de l’infamie de la femme, est-il utile de gaspiller une seconde à lui soutirer une once de compassion?