L’UNESCO a décidé de promouvoir Téhéran comme lieu-phare de la pensée contemporaine. C’est là, en effet, qu’au mois de novembre doit se tenir l’édition 2010 de sa Journée Mondiale de la Philosophie (World Philosophy Day[1]).

Sans doute est-ce la capacité du gouvernement iranien à organiser des colloques négationnistes d’ampleur internationale qui a retenu l’attention de la prestigieuse organisation mondiale pour la culture. Peut-être aussi que Madame Irina Bokova, nouvelle directrice générale de l’UNESCO, s’est rangée à l’avis de David Duke, dirigeant du Ku Klux Kan, lorsqu’il remerciait Mahmoud Ahmadinejad d’avoir accueilli en décembre 2006 sa conférence sur l’Holocauste comme mensonge.

Malgré cette évidente intention d’ouverture (l’« ouverture », c’est le mot à la mode, qui vous ouvre toutes portes, et nul n’ira s’imaginer que l’homme parfaitement ouvert, c’est celui qui vient de se faire hara-kiri), certains réprouvent l’initiative[2], et une proposition de résolution du parlement européen entend même la condamner[3]. C’est pourquoi l’on commence à faire marche arrière, ou plutôt l’on s’efforce de ménager la chèvre et le chou : une autre WPD (prononcer « ouaillepidi ») s’organise au siège parisien, place de Fontenoy[4]. Mais l’UNESCO n’ose désavouer entièrement son premier choix, et collabore donc toujours à une Journée Mondiale de la Philosophie à Téhéran, en laissant aux autorités iraniennes la caution de son sigle et en leur fournissant certains de ses moyens[5]. Dans la basse langue des hauts fonctionnaires, cela s’appelle « une importante fenêtre de dialogue » (ah ! le « dialogue », voilà l’autre mot magique, car de dialoguer sans fin sur la vérité est un des meilleurs moyens d’éviter d’avoir à la vivre). Et, de fait, on nous assure que, pendant que les intervenants dialogueront sur le thème « Philosophie, théorie et pratique », ceux qui engagèrent leur vie pour la liberté et la justice resteront sagement bâillonnés dans les geôles persanes.


[1] http://www.ibna.ir/vdcc4mqm.2bqxo8y-a2.html

[2] http://www.resetdoc.org/story/00000001586

[3] http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B7-2010-0082&language=FR

[4] http://www.insistance.org/news/234/73/Journee-mondiale-de-la-Philosophie-2010-UNESCO/d,detail_mediatheque.html

[5] http://www.philosophyday.ir/?lang=en

2 Commentaires

  1. Ce n’est pas le relativisme qui représente le mal. Les penseurs doivent pourvoir faire se confronter leurs systèmes respectifs dans un espace laïc qui se respecte. D’où l’importance de la pensée antirelativiste dès lors qu’elle se conçoit comme un régulateur d’une relativité irréductible. Comment une démocratie dénonçant la muselière chinoise ou iranienne pourrait continuer à se regarder en face quand elle mettrait un terme à la conversation discontinue d’Edgar Morin et d’Alain Finkielkraut? Ne coupons pas le courant de pensée alternatif, luttons plutôt contre son interruption. Par exemple, n’envoyez pas un ex-ambassadeur d’Israël complexé par la petitesse de son État servir la soupe royale à Régis Ier. Mettez-lui Gilles Bernheim, et vous verrez que tout ce qu’il concevait chez lui-même sous l’angle du savoir devra en un quart de seconde, être redéfini sous l’angle de l’ignorance. Ce qui infeste notre intelligentsia, ce n’est pas l’accès d’un Onfray au Portique, c’est que ce soit Giesbert ou Denisot qui en détienne les clés. Laissez donc Onfray s’exprimer, et cessez de nous annoncer l’arrivée de Notre Grand Philosophe National quand c’est monsieur Tout le Monde qui vient se prendre les pieds dans votre tapis rouge. Il invoque Diogène? Allez chercher Diogène, qu’il lui donne un bon coup de bâton! Il attaque la psychanalyse? C’est Jacques-Alain Miller que vous devez présenter au peuple en tant que grand dépositaire de la chose, et ensuite seulement, inviter l’opposant à s’introduire dans le Labyrinthe de Psyché. L’ouverture de l’esprit aux idées ne doit pas être redoutée lorsque surgissent les apories inévitables. Seuls les assassins de la pensée devront être chassés. On ne confie pas le commandement d’un bataillon à un sergent des armées adverses. On ne fait pas entrer dans le débat démocratique un kémiste atonien convaincu de ce que les leucodermes devront restituer de gré ou de force une civilisation monothéiste qu’ils auraient spoliée au monolâtre Akhénaton. On ne tourne pas le dos à Tariq Ramadan après avoir baissé son pantalon et s’être penché en avant. Et c’est bien de ces pantalonnades qu’il s’agit lorsque notre Géronte de Bokova va faire passer l’Iran pour le haut lieu de la philosophie mondiale. Oui, ce fut bien le roi de Perse qui offrit l’hospitalité aux académies platoniciennes que la Cité de Dieu avait déclarées hérétiques. Mais Rome n’est plus le Vatican, et le royaume des Sassanides mourut d’une invasion fatale.

  2. Merci d’avoir écrit cet article. Jeune ancienne fonctionnaire de l’UNESCO, j’avais déjà précédemment dans vos colonnes dénoncé le curieux silence de Ms Bokova qui, lors de sa prise de fonction,avait mis en avant dans son programme la défense des femmes, comme priorité. Mais la politique comme toujours l’emporte et l’Iran est un Etat membre……