C’est en tant que Juif revenu par choix, plus que par naissance – par vocation – au sein de la communauté et du peuple juif, que j’écris aujourd’hui pour dire ma tristesse, mon incompréhension.

Ayant eu l’insigne honneur d’avoir eu pour maître Emmanuel Levinas et avoir le non moins grand honneur d’être le disciple et l’ami d’Elie Wiesel, je prends donc aujourd’hui la plume pour dire ma stupéfaction face au silence assourdissant des instances de la communauté juive de France devant les deux événements qui ont suscité et suscitent encore émoi et effroi de la part des associations pour les droits de l’homme, de l’Eglise de France mais aussi du pape de Rome, d’un ancien Premier ministre, d’hommes et de femmes politiques de tout bord, comme de tant de concitoyens du peuple de France. Devant  les expulsions de Rom et devant la condamnation à mort de Sakineh, même commuée, n’y a-t-il donc aucune voix juive autorisée, patentée, représentative des Juifs de France qui se soit levée  pour dire tout fort l’indignation et la colère de millions de Français parmi lesquels tant de Juifs ?

Seul Elie Wiesel a pu me dire avec toute son auctoritas morale, comme il l’a répété sur toutes les chaînes, sa colère. « Le Juif que je suis, l’ancien réfugié que je suis, ne peut pas accepter qu’on expulse des êtres humains. Je ne peux pas l’accepter. »

Les expulsions de Rom, de par la façon dont elles se sont passées avec privation des caravanes, autant dire des lieux de vie pour ces familles mises ainsi à la rue, si elles ne peuvent ni ne doivent être comparées à aucune déportation, n’en sont pas moins indignes d’un pays qui fut terre de refuge et de désobéissance civile entre 1936 et 1944, comme le rappelle le titre du livre de Limone Yagil (Cerf) qui vient de paraître.

Qu’une professeur d’histoire de confession juive se voie suspendue pour quatre mois d’enseignement pour avoir trop parlé de la Shoah pendant ses cours, et voici que des institutions juives s’émeuvent, mais dans le même temps, que Sakineh soit condamnée à 99 coups de fouet supplémentaires, et nos responsables religieux ou laïques sont curieusement frappés de mutité…  Et même si cela ne servirait à rien, n’est-il pas de notre devoir de juif et de notre responsabilité morale, éthique, humaine, de protester ? D’un peuple si souvent haï au cours de l’histoire, si souvent expulsé de son pays d’adoption, n’est-on pas en droit d’attendre une parole forte à la hauteur de ce qu’il a traversé et de sa position actuelle dans la société française ? De ceux qui ont beaucoup souffert on est en droit d’attendre compassion, responsabilité face aux souffrances des autres, de tous les autres.

Aurions-nous oublié cet enseignement cardinal du Traité des pères que ne cessait de rappeler Levinas après d’autres : «  Im ani li, mi li ? – Si je ne suis pas pour moi qui sera pour moi ? Et si je ne suis que pour moi suis-je encore moi ? »

Je suis fier d’être juif quand j’entends des maîtres rappeler ces choses fondamentales. Je le suis moins quand j’attends qu’une voix juive s’élève, forte, une voix qui vienne du sein de la communauté juive de France, pour dire ce que j’écris aujourd’hui – si ce n’était des personnalités morales telles que Elie Wiesel ou Bernard-Henri Lévy et si souvent Simone Veil.

Si souvent crier à l’antisémitisme (bien que malheureusement à juste titre un grand nombre de fois) comme le font nos responsables, et ne pas être capable de se tenir aujourd’hui auprès de ceux que l’on expulse, que l’on a privés de leur moyen de vie, comme de ceux que l’on condamne à mort hors de nos frontières,  est un non-sens, une faute morale autant que religieuse.

Ce n’est pas la première fois que les autorités de la communauté juive de France sont absentes de la scène publique quand il s’agit d’autres humains que des juifs… Pour le tremblement de terre en Haïti en janvier dernier comme pour le Tsunami de 2004 et comme pour beaucoup d’autres tragédies qui ne touchent ni Israël ni les Juifs, que disent nos rabbins ? Que disent nos présidents d’institutions face à ces tragédies ?

N’ont-ils à ce point  rien à dire qui engagerait la communauté  par delà leur personne ? Les dirigeants communautaires n’ont-ils Rien-à-dire devant le malheur des autres ? C’est trop souvent l’impression que j’en ai. L’élection aux responsabilités les plus hautes de la première communauté juive d’Europe n’oblige-t-elle pas à un surplus de responsabilités ?

Aurions-nous oublié qu’un pacte de sang à travers un même destin effroyable a été scellé avec les Rom et les Tziganes dans ce non-lieu du monde nommé Auschwitz-Birkenau   ?

En ces jours de Rosh Hashana, de Nouvel An juif qui précèdent le jour de Kippour, je pose une dernière question :

Quand les Juifs cesseront-ils de ne penser la Géoula, qu’en termes de délivrance, de rachat pour les seuls Juifs, au lieu de penser la Géoula en terme de rédemption – oui de Rédemption – pour l’humanité tout entière ?

Y a-t-il un seul peuple au monde qui puisse œuvrer à sa seule rédemption (si Rédemption il devait y avoir !) sans se soucier un seul instant de l’humanité ?

N’oublions pas en ces jours de jugement et de réjouissance communautaire cette parole qui nous engage face au monde et d’abord face aux opprimés et aux expulsés, cette parole qui n’est pas faite pour rester au fond de notre Torah mais pour être vécue et pratiquée jour après jour :

« Tu aimeras l’étranger comme toi-même car vous avez été étrangers en terre d’Egypte » (Lev. 19, 34)

N’est-ce pas une responsabilité irrécusable et qui nous incombe à nous les premiers, car nous avons été sans doute les premiers dépositaires de la Parole.

9 Commentaires

  1. Monsieur,

    Oh oui bien sur chaque juif doit s’élever contre toute injustice, mais dans le cas de l’islam c’est vrai que nous sommes quelque peu timides, de peur d’augmenter le contentieux Israélo/Arabe.

    Pour l’expulsion des Roms cela me parait certes révoltant de ne pas condamner ces actions, tout en comprenant que la France est frileuse à l’égard de l’arrivée sur son sol d’étrangers, pourtant nous fumes étrangers en Egypte.

    Michaël à bientôt à Troyes ville de Rachi le penseur de Paix.. W.Gozlan Rachisyna3.fr

  2. Merci Michel de Saint Chéron pour cette lettre ouverte dont je partage complètement le désapointement devant un silence ostensible et prolongé .
    « Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas »
    N » en 1938, je me sens pleinement juif bien que non croyant . Je veux partager ce qui me semble l’essence même du Judaïsme à savoir une éthique que vous rappelez magnifiquement

    Président du Cercle Gaston Crémieux, nous avions émis le communiqué de presse suivant . Il me semble rejoindre votre sentiment de malaise que je me permets de vous joindre

    Le Cercle Gaston Crémieux dénonce l’odieux amalgame exprimé par le Président de la République qui, à partir d’un incident local, aboutit envers l’ensemble des Roms et des gens du voyage, à des mesures uniquement répressives en omettant que de nombreuses communes ne respectent pas la loi qui leur enjoint de leur réserver un emplacement spécifique et bien entendu décent ! Les responsables tziganes évoquent fort justement la montée d’un anti-tziganisme.
    Plus encore les propos du Chef de l’Etat reprenant totalement à son compte, les slogans racistes du Front National va encore un peu plus loin puisque désormais ce sont les 50 dernières années d’émigration qui sont désignées comme responsables de la criminalité.
    Cette abjection s’accompagne, avec la menace de déchéance de la nationalité française, de relents rappelant par trop les sinistres heures de Vichy.
    Nous souhaitons vivement que les organisations attachées comme nous aux valeurs de l’esprit républicain expriment fortement leur désapprobation
    Plus particulièrement nous appelons également les organisations juives à exprimer aussi leur rejet devant cette montée d’une xénophobie inadmissible.

    Paris le 2 août 2010

  3. Pourquoi la France a été condamnée par les Européens
    Il faut savoir que la France est mise en examen par la Commission de Bruxelles pour infraction des règles au droit communautaire concernant les expulsions des Roms.
    Il y a six possibles raisons d’infraction qui devaient être rapidement clarifiées par Paris. C’est qui n’a pas été le cas, au moins d’une façon satisfaisante. C’est à la base du rapport juridique préparé par le service de Viviane Reding pour les droits communautaires et par celui de Cecilia Malmström pour l’immigration.
    Il demande des explications urgentes sur le démantèlement des centaines de camps et des milliers des nomades, en posant entre autre la question si la France a agit là au « cas par cas » comme le prévoit la norme sur la libre circulation des citoyens européens.
    Cette action, légitime si dans le respect des Traités, aurait pu être autorisée (notez bien ce passage à l’autorisation préalable en plein traité de Lisbonne) si accompagnée d’une garantie procédurale avant passage à l’acte (sic !).
    Pour ce faire, c’était impératif que l’ exode des Roms soit réellement « volontaire », que cette mesure ne soit pas adressée à l’encontre des seuls gitanes, qui ne soit pas une expulsion « collective » et que les droits des mineurs aient été examinés et pris en compte. C’est au fait la Charte sociale des droits fondamentaux qui interdit une discrimination par race ou ethnie.
    Bien sur que tous les Etats membres ont entière la responsabilité primaire de l’ordre public, précise le traité, mais cette responsabilité ne va pas sans conditions. Voilà dans quelles eaux se trouve la France. Mais il y a plus, ce qui fait grossir le problème avec l’Europe.
    « Le comportement des autorités françaises est conciliable avec les règles Eu si et seulement si les citoyens communautaires, après examen là aussi au cas par cas, ont été déclarés constituant une menace pour l’ordre public ou un poids social pour l’Etat ».
    Déjà en 2008 la Commission avait prévenu la France que la transposition interne de la directive sur la libre circulation n’était pas satisfaisante et qu’en particulier son texte « ne exprimait pas explicitement l’obligation d’examiner les conditions personnelles, au cas par cas, telle la durée du séjour, l’age, l’état de santé, le niveau d’intégration ». La question à ce jour n’est pas encore tranchée et pourtant il s’agit bien des normes fondamentales que la France a signé au Conseil d’Europe.
    Mais les retours des Roms ont été volontaires, on a payé pour, peut-on rétorquer. « Le fait qu’ils soient payés n’est pas suffisant pour affirmer que le règles ont été respectées ». Le Parlement européen a tenu compte de ces ambiguïtés, de ce manque de clarté sur un sujet si sensible pour tous, et en a condamné l’agissement de la France.

  4. Les représentants du culte sont tenus par la loi de la séparation des Églises et de l’État au devoir de réserve concernant les affaires intérieures et étrangères de l’État. Ils ont toute latitude d’intervenir dans le cadre limité des sujets qu’ils ont pour fonction de représenter. En l’espèce, un membre de l’Église catholique romaine en France est dans son rôle lorsqu’il reproche à l’endroit de Roms appartenant à la communauté chrétienne, la politique d’un gouvernement qui porterait atteinte à des chrétiens, concitoyens de surcroît, ou postulants à la citoyenneté. On peut maintenant s’indigner du fait que les chefs spirituels des diverses religions ne fassent pas péter un carcan les empêchant de hurler ce que leur conscience leur dicte de hurler, mais alors il nous faut demeurer honnêtes et les appeler à saper les fondamentaux de la république pour la laïcité de laquelle certains de nos ancêtres n’ont pas hésité à s’offrir en sacrifice sur l’autel de la libre pensée. Il faut se téléporter en des temps où le régime concordataire permettait à l’Église d’intervenir dans les affaires d’un État dont les gouvernements nommaient les évêques et poursuivaient naturellement avec Rome à travers eux une liaison incestueuse propre à l’Ancien Régime, et au-delà des Roms dont il est insoutenable qu’ils soient traités sans que l’Europe ait présent à l’esprit à chaque fois que reviennent l’aborder les multiples visages que les Tziganes, les Gitans, les Sinti, les Manouches et les Romanichels ont hérité de leurs parents défunts le même devoir de réparation qu’elle a envers les Juifs, imaginer jusqu’où les religions iraient fourrer leur langue si on leur octroyait de nouveau le pouvoir de dire haut et fort leurs prescriptions et proscriptions aussi souvent convergentes que divergentes, quand bon leur semblerait.
    De là l’importance considérable de la montée au créneau des intellectuels, de la légitimité qu’il y a pour leurs adversaires à combattre leurs idées, de la honte et du danger qu’il y aurait de leur part à les délégitimer.
    Car vous vous indignez de ce que certains chefs de clan ne répondent pas comme un seul homme à votre appel, mais les autoriserez-vous à s’indigner après qu’ils ne seront pas venus vous demander sur quel objet d’indignation doit se porter l’attention mondiale? Serez-vous de ceux qui signeront la pétition lancée par le CFCM pour la libération de Marouane Barghouti? Allons plus loin. Qui serez-vous pour faire le tri entre communauté fréquentable et communauté infréquentable? Accepterez-vous, par exemple, que monsieur Capochichi mène librement son combat pour la restitution aux noirs de l’héritage d’Akhenaton spolié à eux par les plagiaires d’Israël? Voyons plus loin. Serez-vous prêt à prendre les armes à mes côtés le jour où le brûlement du Coran suivi de peu par le brûlement des Évangiles, aura fait remonter sur sa chaire le grand inquisiteur de France Paul Aulagnier?

  5. Cher Michaël de Saint-Cheron,
    Je ne connais ni votre oeuvre ni votre vie. Apparemment, vous devez être quelqu’un de grande importance.
    Votre ami Elie Wiesel s’est-il offusqué des expulsions de Palestiniens de Jérusalem?
    Merci.

    P.S.: Je suis Juif.

  6. Je suis d’accord avec vous Michaël de Saint-Cheron. Mon coeur pleure et mon âme aussi devant le silence de frères et de soeurs qui pourtant reconnaissent et savent à quel point le mépris envers un seul humain est un mépris de toute l’humanité. C’est un mépris et aussi une méprise.
    Nous errons gravement en nous cloisonnant dans nos différences au lieu de nous instruire les uns les autres et les uns des autres.
    Nous sommes un village, notre planète est une toute petite boule d’île dans l’immensité de l’univers et nous n’arrivons pas à nous indigner de ce que nous nous traitons les uns les autres comme si notre vie ne valait rien.
    Juifs, Chrétiens, Musulamns, hommes et femmes de bonne volonté, comment avons-nous pu nous éloigner de la vérité à ce point. Il n’y a d’étranger entre nous que ce que nous en décidons car sur terre, montrez-moi le premier étranger? Qui est l’étranger planétaire? Toi ou moi ou l’autre? Quelle est cette maladie mentale qui ne trouve pas de guérison entre nous?
    Les habitants de la planète terre vont lancer des roches à une femme jusqu’à ce qu’elle en meurt mais avant nous allons lui infliger 99 coups de fouet? Mais n’avons-nous pas appris de nos fautes du passé?
    Que toutes les autorités de toutes les religions et de tous les gouvernements civils qui prétendent que le mérpis de l’autre équivaut au mérpis de soi-même se lèvent et se fassent entendre.
    Les autorités qui se taisent son traîtres à leur enseignement et s’il y en a une qui approuve cet acte indécent, qu’elle s’applique à elle-même le châtiment! Que ton oeil ne soit pas le témoin du mal!
    Claire Fortin Canada

  7. Mots très sages de grandes valeurs si concernants les roms respectueux des lois d’accueuil en tous pays. Le cas concerne surtout la France et l’Italie et remonte aux rapports privilégiés avec la Roumanie des Ceausescu. C’est ainsi que la Roumanie a pu se liberer de grands nombres de rom, parmi lesquels plusieurs roumains coupables de crimes et ceux qui se sont refugiés à l’étranger après décembre 1989. Ce sont le pire de l’humanité. Aux plus bas niveau moral. Ce sont ceux que nous avons vu – dans plusieurs documentaires du passé – abuser des enfants abandonnés dans les sousols de Bucarest. Parmi eux les assassins du régime. Ci ce sont ceux-ci à etre expulsés comme je le pense, faut seulement remercier le gouvernement français et italien qui ont finalement commencé à séparer ceux-ci du peuple rom. Je pense que les roms meme en soit soulevés. Malheuresement, quelques injustices peuvent aussi etre commises. Mais ne melons pas la mauvaise herbe avec la bonne!

  8. C’est une honte qu’à notre époque l’on puisse encore toléré ce genre de chose, on ne peut pas accepter cela sans réagir, que fais le gouvernement ???Arrêter ce massacre…