Chers membres de la Règle du Jeu,
Votre goût ou votre fantaisie vous donneront-ils l’envie de publier notre tract ?
Permettez-nous de vous le présenter :
Nous n’appartenons à nul parti, à nulle confrérie ; nous n’avons pas de projet pour le monde, ni pour l’Europe, ni pour la France, ni pour la planète.
Mais nous aimons vivre : nous nous efforçons de reconnaître le monde et nous aimons ceux qui, parmi les hommes, ont porté le plus loin qu’ils le pouvaient ce désir, aiguillés par l’effort de leur intelligence, de leur main et de leur oreille.
Tout cet effort leur a été dénié ; on a orchestré sa disparition.
Nous sommes les jouets et les captifs d’une guerre, sans le savoir ; la guerre est totale, contre ce désir, contre la vie, contre l’homme.
Par grandeur, qu’on entende ce par quoi un homme a fait qu’il fut singulier et neuf, inédit, d’être homme.
On a conspiré, on conspire plus aujourd’hui que jamais, contre la grandeur ; conspiration sans complot ; n’y entendez que l’accord de l’esprit du temps ; que l’intersubjectivité ; que l’ordre du monde.
Furent-ils, ceux que la mémoire culturelle retient comme tels, tous ou partie, grands ?
Peu nous importe ; sans doute ne le furent-ils pas, absolument parlant ; mais il rendirent possible, dans la mémoire et l’imagination des hommes, cette idée et ce mot ; leurs noms, et l’effet qu’ils produisent sur notre question nous suffisent. Car tous ces noms, qu’il serait vain de citer, ont en commun d’être strictement impossibles, aujourd’hui ; de sténographier, chacun à sa façon, une aventure humaine dont l’unique synthèse consistera de ne pouvoir pas advenir aujourd’hui. Puisque nous renoncerons au biologisme (grâce à l’humour sublime de l’Histoire : avant le triomphe, aujourd’hui, du dernier avatar du scientisme, le biologisme, le Nazisme avait déjà clamé très haut, hier, la face d’ombre qui l’ordonne, depuis les tréfonds éternels de la haine de soi), nous ne dirons donc pas que la race humaine a déchu. Pourtant, c’est d’une nécessité aussi imparable que les nécessités du corps, que s’impose cette nouvelle Loi, qu’il n’y ait pas, qu’il n’y ait plus de Titien, qu’il n’y ait plus de Shakespeare, qu’il n’y ait plus de Schubert ; que l’extrême maîtrise, conjuguée à la plus haute inspiration, soient objets de non plus de raillerie, mais d’oubli et de stupéfaction ; de sorte que si la Loi d’airain n’est pas à chercher du côté de la pesanteur des choses, toujours aussi légères, ou aussi lourdes ; que si, d’autre part, l’esprit jamais ne pèse, et que ce n’est donc pas non plus dans l’esprit que la raison s’en impose, c’est qu’il faut incriminer l’ordre de choses, ou culture, ou structure.
Nous tenterons, pour notre part à titre d’hypothèse, de ne voir pas là quelque conséquence de l’organisation économique, ou politique ; non un accessoire ni même un meuble dans le décor du monde ; mais le sens même du monde ; nous dirons : «  c’est tout le décor que cette Loi édicte, et que cette guerre taille et sculpte ; c’est la finalité du monde qui s’accomplit ici ; qu’il n’y ait pas de grandeur, telle est la très-haute tâche à laquelle toute entière notre époque est consacrée. »

On conspire, contre la grandeur ; tous et chacun conspirent, dans le « for intérieur », contre le risque de la grandeur chez soi ; chacun et tous conspirent contre le risque de la grandeur chez les autres. Nous admirons trop ce qu’elle a de cristalline pour compromettre la grandeur dans feu l’orgueil, certes assassiné ; et pour en expliquer le manque par le narcissisme, certes obligé. Tels défauts n’y suffisent pas, non. Certes, le petit d’homme est pris dès l’école, où on l’a subtilement travaillé, à coup de modes d’emploi intellectuels pour éteindre en lui toute velléité d’être neuf ; certes, on l’a mis au centre, certes, on l’a écouté, et donc enfermé dans les mailles soyeuses de la psychologie ; l’aimant, on l’a aimanté ; le scrutant, on l’a sculpté. Certes, à présent, on le préfère mort que vif, sous toutes les formes de la perversion collective, de la détestation réactionnaire au suicide civilisationnel. Il n’empêche ; pourquoi nul homme n’en est-il sorti éclatant, lumineux ; pourquoi nul n’a-t-il fait voler en éclats ce qui détermine tous les autres, ainsi qu’il advint toujours – car toujours on fut bête!
Nous manquons de temps, de lucidité, de force d’âme. Mais nous sommes quelques-uns à nous souvenir, à présager, à regarder. Il faut qu’au moins cette guerre se déclare, pour qu’un infime espoir subsiste ; aussi la déclarons-nous ; puisque tout peut être dit et que, par conséquent, plus rien n’est plus jamais dit, nous choisissons la plus modeste et la plus dérisoire des formes, en espérant qu’elle traversera le grand vide bruyant qui s’organise sous nos yeux :
C’est un tract.
Le voici.

TRACT

Une guerre ultime : contre la grandeur

Un guerre fait rage, depuis toujours, entre deux régimes : le régime de la synonymie, qui prétend que tous les hommes sont identiques, et le régime de la grandeur, qui prétend qu’il n’est d’homme qu’unique, et que ce qui est synonyme est innommé et revient donc au nul, au rien, au néant. Aujourd’hui, la victoire d’un régime sur un autre est avérée; toutes les structures de la culture, de la pensée et de la science se sont modelées à cette exigence première, plus sérieusement amont qu’aval du Christianisme ; ce que veut l’Historien est ce que veut que le Journaliste ; ce que veut le Sociologue est ce que veut le Critique; ce que veut le Publicitaire est ce que veut le Prêtre, et se résume dans une activité unique de l’esprit, de la langue et du corps : rapporter coûte que coûte quelque objet que ce soit à toujours plus de même. On voulut abolir le temps, parce qu’on voulut abolir la mort, parce qu’on voulut assurer le triomphe de la mort – trois propositions exactement synonymes, qui inaugurent le régime de la synonymie entre les hommes, rival du régime de la grandeur ; dans le premier, le concours de tous est requis ; dans le second, la présence d’un seul suffit. Dans le régime de la grandeur, la mort du corps diffère de la mort de l’esprit, tandis que dans le régime de la synonymie, la mort du corps est la même que la mort de l’esprit. De même, dans le régime de la grandeur, un temps n’est jamais identique à un autre, car chaque temps est celui d’une nouveauté ; tandis que dans le régime de la synonymie, tous les temps sont exactement identiques les uns aux autres. A titre d’exemple, l’effort de toute la pensée universitaire doit être vu comme cette négation de la différence des temps, sous des voiles de distinction ; quant à l’effort de tout l’art contemporain, lui, il peut être compris comme la négation de la différence des hommes, et de la possibilité du singulier ; mais ces deux symptômes fort locaux doivent être regardés, en comparaison de ce que dit notre structure, pour ce qu’ils sont : des détails oiseux.
Par ces deux régimes, qu’avons-nous dit, sinon le principe de toute l’Histoire ?
Principe toujours tyrannique, mais toujours poreux ; toujours suicidaire, mais toujours bafoué. Sauf aujourd’hui.
L’Histoire,toujours cruelle, fut toujours mise en échec ; à présent, elle nous dévaste.
Le régime de la synonymie a triomphé ; nulle grandeur n’a plus nulle trace nulle part, sinon dans les tombeaux ; triomphe définitif du Christianisme, religion de la mort ? Peu nous chaut: le temps nous est compté. Pour la première fois, le monde et l’homme sont invivables jusque dans leur illusion.
Parce que le triomphe est complet, l’évidence de sa défaite est désormais absolue : que cette énigme nous suffise! Et qu’il convienne, pour commencer, que ce postulat soit dans l’esprit de quelques uns : « Nous nous engageons à n’avoir de cesse de désirer le retour de la grandeur. Que rien d’autre ne compte pour nous, voilà ce qui nous tiendra lieu, dans le grand néant qui nous empiège, de parti, d’espérance et de religion.»

12 Commentaires

  1. Ce plaidoyer et confus et brouillon, il ne fait que traduire un mal être sans apporter le moindre argument ni la moindre analyse… Des jérémiades de confessionnal… Par ailleurs, tous les grands dictateurs se sont targués de rechercher la grandeur… Par pitié laissons-la où elle est…  » Fais tous les jours ta noble et lourde tâche »…

    • Confus? Au contraire, clair et brillamment écrit. Je ne vois pas là de jérémiades, mais une expression puissante de notre mal être. Que vous tombiez dans le piège de « tous les grands dictateurs se sont targués de rechercher la grandeur », alors que vous n’avez pas entendu ce qui se disait sous ce mot, cela révèle bien que vous tombez à votre tour dans le diktat qui veut l’empêcher. C’est en tous cas bien très clairement une question d’aujourd’hui.

  2. C’est une declaration de guerre contre qui ? Qui selon vous est responsable de cette banalite generale ?

    • Il est toujours utile de prêter l’oreille au génie, a fortiori lorsqu’il s’agit de l’auteur d’un siècle qui nous mit tous au monde. Or ne nous empêcherons-nous pas nous-mêmes, qui naquîmes là et non ici, d’oublier que l’homme neuf fut ce que nous promirent toutes les révolutions de caractère totalitaire dont le premier objet de destruction fut l’homme? Or Shelomo ne nous laissera-t-il pas laisser du temps au temps de Moshè, récepteur de la Loi avec un « grand » L, où de la fabrication du Veau d’or au frappement du rocher, nous n’aurons pas pu ne pas voir de la main même de leur Pasteur que les brebis de IHVH sont tout sauf des moutons de Panurge? _ Cf. Proverbe yiddish : « Deux Juifs, trois idées. » _ Or le plafond de la chapelle Sixtine ne s’écrase-t-il pas déjà sur nos têtes au moment où nous lui passons dessous en les baissant de contemption vers une mouche de christianisme n’ayant à nos yeux tout de boue, jamais rien su produire de Grand? Et quand la panurgisation des esprits ferait bien le lit des fleuves tyranniques, ériger en principe la singularité dans son jus d’absolutisme manquerait singulièrement de la force nécessaire au dressement d’un barrage en travers de la route du Tyran, cependant que l’ensemble des petits uns se prévalant des mêmes droits illimités une fois mis bout à bout, aurait soumis la Loi, son Ennemie jurée, à un peuple de tyrans lilliputiens ayant pour conséquence fatale de faire sortir de son lit le vieux fleuve, pour un Second Déluge.
      Marcel Duchamp n’eut pas son pareil. Francis Heaulme non plus. Ce n’est donc pas l’originalité qui fait la quintessence de l’être inspiré. C’est la source de son inspiration. Ainsi, le grand Friedrich ne s’est pas attaqué à la morale en tant que telle, mais à sa parodie. Et son combat contre l’hypocrisie, la veulerie ou la crédulité, fonde un contre-modèle sur les ruines du modèle dont il ne sape que les formes inculquées à sa puissance de modélisation qu’il voudrait vouer à générer un homme dont il se fait une idée très exacte des vertus cardinales, ne laissant aucune place à un soupçon de zéphyr libertaire, à savoir, un homme dont le renouveau qu’il assied sur le mythe d’un âge d’or englouti, aurait le pouvoir de délivrer son corps animé de tous les oripeaux de la faiblesse humaine. Une créature résultant elle-même d’une reproduction, ne connaîtra jamais de création amnésique. Vouloir obstinément sortir de la route tracée par les anciens, poussera un jour ou l’autre à se prendre un platane ou à franchir à tout berzingue le bord d’un précipice.

    • je ne vous donnerai pas une rèponse chrétienne et terrifiante selon vos termes mais une réponse CHRISTIQUE : L’abbé Pierre, Soeur Thérésa, Soeur Emmanuelle vous embrassent fort…

    • F.A., ayez l’amabilité de ne pas travestir ma pensée avant de la soumettre à la critique. Si me prêter ici l’intention d’associer christianisme et terreur tiendrait du contresens, les termes que je juxtaposais dans un précédent commentaire, lesquels commentaires il peut s’avérer hasardeux d’en faire se télescoper les angles de réflexion, étaient «chrétienne» et «hyperterrifiante», ces deux adjectifs venant qualifier une réponse à l’hyperterreur du 11 septembre 2001. De la même façon que je n’assimilerai jamais l’islam, mais le jihadisme à l’hyperterrorisme, il va de soi que la réponse à une telle version dénaturée de l’islam aurait pour effet non seulement d’accroître le niveau de terreur à proportion de la puissance militaire occidentale dont la supériorité n’est plus à démontrer, mais aussi, est-il vraiment besoin de le souligner, de dénaturer le christianisme.

  3. Des « tracts » anonymes?
    Ca se fait encore?
    Ils sont envoyés par la poste? A l’ancienne…
    Ce sont des nostalgiaues d’un autre temps. Mais c’est tout de même drôle.