Le 13 Juillet 2010, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, et à une écrasante majorité (335 voix contre une), un projet de loi visant à interdire le port du voile intégral dans l’espace public. Si la concorde était de mise, quelques heures avant le vote une voix s’est néanmoins élevée pour demander à nos députés de rejeter ce projet de loi. Étonnement, cette opposition ne venait ni de religieux défendant leurs chapelles plutôt que la République, ni d’extrémistes mus par des intérêts en contradiction avec l’objectif national… Non, rien de cela ! Cette fois, ceux qui s’insurgeaient provenaient d’Amnesty International, ONG doublement lauréate du Prix Nobel de la Paix et partout défenderesse des Droits de l’Homme.

En règle générale, lorsqu’un double Prix Nobel parle, on l’écoute… Religieusement ! Cette fois on se pinçait pour savoir si l’on ne rêvait pas : dans une tribune toujours disponible sur le site de Libération, Amnesty écrit : La France et son « gouvernement semble(nt) ignorer le droit à la liberté d’expression et de religion ».Et le texte de se finir sur une formule lapidaire : « Il est indéfendable de pratiquer le paternalisme au nom de la fraternité. » Soudain les républicains frissonnent : Amnesty International serait donc incapable de tenir une position forte sur la burqa…
Comme l’immense majorité des musulmans français, je ne veux pas de la burqa en France et comme la majorité de nos députés (moins la présence des socialistes qui ne s’honorent pas à fuir le vote lorsqu’il devient épineux) je refuse que mon pays soit complice de misogynie. Car l’autoriser serait une insulte à tous les laïcs que nous sommes et plus particulièrement à ces musulmans qui ont choisi la France pour l’idée de progrès qu’elle représente. On ne choisit pas la France par hasard, les immigrés le savent bien. On ne s’y installe pas pour rien. On y vient car on a une haute idée de la République et une foi certaine dans les institutions. Il serait donc insupportable que ces institutions transigent avec l’obscurantisme. Et justement, ne rien faire contre la burqa reviendrait à renoncer à ce qui fait de notre nation la patrie des droits de l’Homme : les Lumières, l’esprit de la révolution, une certaine idée du progrès. Soyons cohérents : quelle logique il y aurait-il à faire la guerre aux talibans afghans si, sur notre propre sol, nous cautionnons une partie de leur obscurantisme ?

A ceux qui nous disent, « vous risquez la guerre civile pour 2000 femmes en burqas », opposons-leur qu’une femme ainsi enfermée de gré ou de force représente déjà à elle seule une situation de fait insupportable. Et peu importe les éventuelles réactions des pays qui, eux, ne sont pas gênés par cela : si la France a vocation à accueillir le monde entier chez elle, elle n’est pas censée galvauder son héritage de peur d’éventuelles représailles diplomatiques.

A ceux qui disent que la burqa est parfois un choix délibéré de la femme opposons leur ce qui suit. La loi interdit aussi aux citoyennes de se promener nues dans la rue. Cela relève de l’attentat à la pudeur et il s’agit d’un excès puni par la loi même si la jeune femme agit de son plein gré ! Si le raisonnement fonctionne dans un sens dans un sens, il opère aussi dans l’autre. La burqa consiste justement en l’excès inverse, il faut donc l’interdire. Voilà qui est logique, implacablement logique.
Dans un texte important publié il y a quelques mois sur le site de la Règle du jeu, Bernard-Henri Levy exprimait son malaise face à la burqa et se prononçait en faveur d’un texte de loi. Le texte commençait ainsi:

« On dit : « la burqa est un vêtement; tout au plus, un déguisement; on ne va pas légiférer sur les vêtements et les déguisements»… Erreur. La burqa n’est pas un vêtement, c’est un message. Et c’est un message qui dit l’assujettissement, l’asservissement, l’écrasement, la défaite, des femmes.

 

On dit: «c’est peut-être un assujettissement, mais consenti; sortez de votre tête l’idée d’une burqa imposée par de méchants maris, des pères abusifs, des caïds, à des femmes qui n’en voudraient pas»… Soit. Sauf que la servitude volontaire n’a jamais été un argument; l’esclave heureux, ou heureuse, n’a jamais justifié l’infamie foncière, essentielle, ontologique, de l’esclavage; et, des stoïciens à Elisée Reclus, de Schœlcher à Lamartine en passant par Tocqueville, tous les anti-esclavagistes du monde nous donnent tous les arguments possibles contre la petite infamie supplémentaire qui consiste à faire des victimes les propres auteurs de leur malheur. »

Quelques uns des arguments les plus décisifs sont là. Pour le reste, Amnesty International aurait surement dû envisager plus finement la position française. Celle là défend des arguments qui peuvent aisément retourner le sophisme de l’indifférenciation des systèmes de valeurs que l’ONG défend aujourd’hui. Que L’organisation préfère se coucher devant la burqa, c’est son choix. Mais qu’elle n’espère pas entrainer La France dans son entreprise pusillanime. Affirmons-le bien fort : notre pays conserve son haut niveau d’exigence laïque et son objectif n’a jamais été de ménager les intégristes.

En matière de burqa justement, préférer l’inaction à la prise de risque serait un formidable aveu de faiblesse : cela reviendrait à céder sur les valeurs qui fondent la France, cela reviendrait aussi à opposer aux dictatures fanatiques, qui gonflent fièrement la poitrine, la faiblesse d’une démocratie vieillissante, fatiguée de défendre ses idées, dépassée par le monde qui l’entoure. On le sait maintenant, les fanatiques religieux, ceux qui veulent de la burqa et enferment leurs femmes utilisent les vides juridiques pour infiltrer puis dénaturer nos sociétés démocratiques.

La seule idée sur laquelle Amnesty peut être entendue, c’est finalement sur l’aspect contre-productif qu’aurait une loi à l’unique destination des musulmans. On le sait, l’intégrisme religieux ne connaît pas de frontières et catholiques comme juifs sont aussi sujets à ces travers. Le législateur se doit donc de penser dans la généralité et de prévenir les débordements d’où qu’ils viennent. Pour ne pas confondre Islam et islamisme, pour ne pas faire de l’Islam un bouc émissaire, il faut savoir légiférer plus strictement pour tous.
Comme les symboles comptent, voyons ce que l’Art peut dire de notre affaire. S’il est une image nationale qui devrait mettre toute la France d’accord, c’est bien « La Liberté guidant le peuple », l’incontournable tableau de Delacroix. A la féminité déniée par la burqa on se doit de préférer la Marianne enjouée de « la Liberté… ». Sur les barricades révolutionnaires, la tête dans les idées, elle se fait meneuse d’un cortège mettant à mal le pouvoir lorsqu’il se fait liberticide. Aujourd’hui encore l’idée a quelque chose de révolutionnaire. Trop nombreux sont ainsi les pays dans lesquels on ne pourrait même pas reproduire le tableau de peur d’exposer le public d’abord à la nudité, ensuite à son message (à moins que ce ne soit l’inverse). Deux exemples. D’abord celui de 2006 en Turquie : lorsque la « Liberté guidant le peuple » devait servir d’illustration à un manuel d’instruction civique et d’enseignement des droits de l’Homme, le ministère local de l’Education s’offusque et censure l’illustration. Pas de tableau pour les jeunes turcs… Second épisode, cette fois-ci quelque part dans le Golfe : lorsque le même tableau fut exposé, les seins découverts de « La Liberté » furent cachés par un bandeau noir. Un bandeau noir… il est là le vrai sacrilège ! Non pas de proposer une femme dévêtue comme le fait Delacroix, mais plutôt d’étouffer le génie d’une œuvre fondamentale en barrant de noir le buste de notre emblème national.

L’Art comme les valeurs ne supportent pas la demi-mesure. On ne transige pas avec eux car il ne s’agit pas ici de recherche du consensus. Il faut donc en finir avec la burqa comme il n’aurait pas fallu prêter le tableau de Delacroix.

La France et ses valeurs ne sont pas de vulgaires comptes d’apothicaire !

2 Commentaires

  1. on fait croire que la burqa est l’objet de tout les troubles ,un signe intégriste;hors il s’agit
    simplement d’un symbole dont la désignation est de se protéger de la lumière divine,afin
    de ne pas être exposé à la vérité de dieu et de garder vis à vis de lui,in petto l’acte de pénitence…La femme est donc celle que l’on protège le plus dans le coran.Ce qui est
    regrettable,c’est la récupération de ce symbole aux mains des extrémistes religieux.

  2. Je crains que l’incohérence qui consisterait à faire la guerre au nom des Lumières à des talibans afghans dont nous cautionnerions sur notre propre sol, les formes développables de leur obscurantisme, n’a rien pour faire froid aux yeux d’une organisation nobélisée réclamant à la communauté internationale une amnistie globale. Car si au démarrage de la diligence des Justes, c’est l’otage politique des tyrans qui faisait l’objet d’un appel à la clémence tyrannique, c’est aujourd’hui l’otage tyrannique de la Cité mondiale qui se trouve défendu par la pelleteuse d’Amnesty International, contre une justice-esclave d’un Grand Marché n’offrant pas d’autre choix à ses acquisitions humaines que celui de la guerre souterraine, et de ses marchandages. Les altermondialistes se privent des âmes révolutionnaires qui auraient dû renforcer leurs rangs. Un guerrier de Thémis ne tuera ni ne se fera tuer au motif de conserver aux femmes emburquées un droit qui en sacrifierait un autre pour lequel d’anciens compagnons de son ordre ont fait couler le sang. Voir sans être vu, cela porte un nom en droit pénal : le voyeurisme, ce faisant de la femme postée derrière la meurtrière de son bunker nomade, et une otage et une preneuse d’otage. Alors, une proposition simple… oublier le monde tel que le voient les croisés de l’islam radical, et gardant à l’esprit le visage d’un messianisme grec aimé de Lévinas, nous reconcentrer sur un monde fragile et indestructible autant que sa fragilité nous invite à en prévenir la destruction possible, tel que certains esprits éminents que nous eûmes autrefois pour modèles, en eurent la vision.

    «Gygès était un berger au service du roi qui régnait alors en Lydie. À la suite d’un grand orage et d’un tremblement de terre, le sol s’était fendu, et une ouverture béante s’était formée à l’endroit où il paissait son troupeau. Étonné à cette vue, il descendit dans ce trou, et l’on raconte qu’entre autres merveilles il aperçut un cheval d’airain, creux, percé de petites portes, à travers lesquelles ayant passé la tête il vit dans l’intérieur un homme qui était mort, selon toute apparence, et dont la taille dépassait la taille humaine. Ce mort était nu ; il avait seulement un anneau d’or à la main. Gygès le prit et sortit. Or les bergers s’étant réunis à leur ordinaire pour faire au roi leur rapport mensuel sur l’état des troupeaux, Gygès vint à l’assemblée, portant au doigt son anneau. Ayant pris place parmi les bergers, il tourna par hasard le chaton de sa bague par-devers lui en dedans de sa main, et aussitôt il devint invisible à ses voisins, et l’on parla de lui, comme s’il était parti, ce qui le remplit d’étonnement. En maniant de nouveau sa bague, il tourna le chaton en dehors et aussitôt il redevint visible. Frappé de ces effets, il refit l’expérience pour voir si l’anneau avait bien ce pouvoir, et il constata qu’en tournant le chaton à l’intérieur il devenait invisible ; à l’extérieur, visible. Sûr de son fait, il se fit mettre au nombre des bergers qu’on députait au roi. Il se rendit au palais, séduisit la reine, et avec son aide attaqua et tua le roi, puis s’empara du trône (Platon. La République, 359d-360b).»