« Le papillon bat des ailes
Comme s’il désespérait
de ce monde »
Haïku d’Issa.

Dans la matière décrite qu’il met à nu, qu’il détruit puis recrée grâce à la substantification de mots vides, il exprime le monde des choses sans sens.

La nature n’est belle que dans l’œil de l’homme éduqué à la voir belle, ou triste, mélancolique, bucolique, joyeuse. Pourtant elle ne recèle aucun sens, elle est, seulement. Elle fait partie de la création antérieure que s’évertue à recréer l’œil du poète qui par le mot, enrobé d’une vision, d’une image qui dépasse le sens. La nature ne se dépasse que dans l’œil de la personne qui daigne la regarder et qui sait comment faire.

Cependant, le regard du lecteur sur un vers à priori absurde comme le « violon long des sanglots de l’automne » de Verlaine renferme infiniment plus de sens que la simple observation. Elle met en mouvement des choses bien plus profondes, une émotion comme la nommerai Reverdy. Le haïku japonais part du constat du monde, en cela il est de la nature l’expression la plus pure, dénudée de toutes fioritures. Le poème « occidental » lui, crée le monde au fil de sa vision, il crée un monde où s’ébauchent des émotions aussi fugaces que profondes. Il en capte la substance, la substance d’un mal du réel, où le poète sent son insuffisance par une trop grande sensibilité.

Le poète, en captant les racines de l’inconfort de la vie, retourne à la moelle de l’émotion, dans sa forme la plus pure. Il est un démiurge sans puissance parce que limité à exprimer de la manière la plus juste un sentiment préexistant. Cependant, il crée du beau, il magnifie la souffrance et l’adoration du monde. Toujours partagé entre le beau et le cru, les lettres forment des mots qui prennent du sens, d’où surgit la vérité qui cependant n’est pas le beau. Il n’y a pas de beauté dans « passe moi le sel ». Il y a de la beauté dans « Par délicatesse, j’ai perdu ma vie ». Où se trouve la différence ? elle se trouve dans une chose : l’ineffable. Dans la première phrase, tout est exprimé et il en est fini. Dans le vers de Rimbaud, on y trouve enfermé la sensibilité au monde, aux choses, qui rendent au poète la vie insupportable, sans saveur. Seule peut subsister la création, qui est la volonté la plus immémoriale, la plus pure, mais aussi la plus égoïste de toutes celles qui sont données à ressentir à l’homme. Tout homme rêve d’être Dieu, cependant, il n’est que la créature.

Toute poésie est nimbée de spiritualité, parce qu’elle implique que quelque chose d’intérieur s’exhale à l’extérieur. Nier la propension naturelle de la poésie au divin est forcer un contre-sens terrible, pour la poésie occidentale tout du moins. Là où s’imbriquent les mots, quelque chose d’au-delà s’exprime, quelque chose de naturel, et pourtant excessivement douloureux : l’impuissance. Le poète crée tout un monde aussi factice que l’émotion ressentie lorsque l’on regarde couler l’eau sous le pont Mirabeau.

Pourtant, les poètes se trompent, ils ne doivent pas créer le divin, il doivent en décrire l’image la plus pure : l’émotion. Le poète décrit son intérieur, en créant un extérieur où tout est contenu, mais quel sens y a-t-il à ça ? Tout est déjà contenu dans le monde, celui où l’absolu règne pour qui sait le voir. L’intériorité est le plus grand ennemi du poète parce qu’il lui laisse tout champ libre, un horizon azuré de ses mots rabâchés sans cesse, qui n’ont de sens que dans la contingence. Cette émotion appelée poésie n’est pas le regard intérieur, mais la vision que seule la surdité exprime ou que l’aveugle voit, l’infinie vérité contenue dans un saule esseulé, ou dans le regard fuyant des eaux tranquilles. Le monde est le plus puissant de tous les verbes et le seul qui puisse élever l’homme au rang du divin, il devient alors l’ineffable.

Oiseau en vol, estampe japonaise
Oiseau en vol, estampe japonaise

 

2 Commentaires

  1. Si tous les goûts sont dans la Nature quelconque…, celle de l’auteur comme sel de l’homme anthropomorphisé dans sa représentation théâtrale, est-elle absolument, irrémédiablement vide de sens?

    Alors, selon le sens commun, quel fut le bon goût du créateur premier ?

    N’hésitez à prendre votre temps, il est court par Nature oblongue et diabolique.

    Par conséquent, nonobstant, néanmoins et en outre plutôt qu’en bouteille, las ces mantiques ne pouvaient plus dissimuler le sens quelconque des choses isotopiques qui touchent à la rotation donc au sens des choses en mouvement malgré l’inertie hypnotique exercée par l’hypothétique amplitude surréaliste et télévisée de l’information longitudinale exprimée selon un ordre chaotique et dispersé quasi impressionniste dans son essence pixellisée par le législateur victime d’hallucinations éphémères, surabondantes et pléthoriques dénuées de toute éthique socialiste et paranormale.

    http://www.youtube.com/watch?v=rK4Bh_arF-E

    nature oblongue: http://www.youtube.com/watch?v=0zoTuh9TMds

  2. Sublime… Encore, encore…

    Et ce texte et ce choix iconographique. Bravo à la RDJ pour cette parution.