Le quattro volte, Michelangelo Frammartino, Quinzaine des Réalisateurs,
Cleveland contre Wall Street, Jean-Stéphane Bron, Quinzaine des Réalisateurs,
I Wish I Knew, Jia Zhangke, Un Certain Regard

Elles n’ont pas de robes en lamé, pas de hauts talons vernis, mais ce sont nos stars du jour : les chèvres gambadeuses du vieux berger secoué de quintes de toux de Michelangelo Frammartino. Ca commence façon janséniste, sous le signe d’un naturalisme âpre, avec le cycle des gestes rudes du quotidien et cette silhouette voûtée de vieillard s’acheminant vers la mort. Mais, ici et là, Le quattro volte est semé de détails intrigants, d’îlots de surréalisme qui mettent la puce à l’oreille. Et de fait, la rugueuse chronique paysanne fait une embardée dans le burlesque pur : la Passion du Christ, rejouée par les villageois, est perturbée par un chien de berger bien peu respectueux des œuvres de Dieu. Rien d’étonnant dans un film qui assume tranquillement un paganisme sans complexe et qui s’amuse à enchaîner les réincarnations. Chevreau, arbre ou fumée, tout est bon pour loger l’esprit des défunts. Et rarement on aura été troublé à ce point par des séquences animalières, rarement des concerts de bêlements auront été aussi humains.

Retour sur terre avec un docu suisse sur la crise des subprimes. On avoue, on y est allé en traînant un peu les pieds et en se disant que ça serait l’occasion d’une petite sieste bercée par des litanies de chiffres. A tort. Cleveland contre Wall Street est à des années-lumière du pensum abstrus et n’a rien à voir non plus avec les effets de manche populo d’un Michael Moore. Des citoyens de Cleveland, laminée par la crise et les saisies immobilières consécutives, décident de s’attaquer à la racine du mal : Wall Street. Le film est le récit du procès intenté à un système pervers. Un film où tout est authentique – avocats, jurés, témoins – sauf le procès lui-même, qui n’a rien d’officiel. C’est qu’il ne s’agit pas seulement de décortiquer titrisation et autres prêts hypothécaires, mais d’abord de susciter un discret vertige entre le vrai et le faux.

Autre vertige, celui-ci entre passé et présent : le film de Jia Zhangke, I Wish I Knew, ode à Shanghai, aux Shanghai d’hier et d’aujourd’hui qui n’en finissent pas de se superposer et de s’entrecroiser. Mais le beau film du réalisateur de The World ou Still Life n’a rien d’un casse-tête chinois : tout s’écoule harmonieusement, les témoignages des uns et les extraits de films des autres. C’est que I Wish I Knew est également un concentré de cinéma, puisant des images et des séquences chez Hou Hsiao-hsien ou Wong Kar-wai. Une ville est un film, suggère Jia Zhangke – et ce n’est pas ici, à Cannes, qu’on le contredira.