Au XXème siècle, la France et Paris, capitale de la liberté, ont accueilli par milliers les proscrits, les humiliés, les combattants de la liberté venus du monde entier chercher un refuge au pays des Droits de l’Homme. Après tant d’autres, j’ai trouvé asile chez vous. Ma famille est avec moi. Mes deux petits garçons vont à l’école publique. Un troisième enfant vient de naître en France. Je vous dois beaucoup.

Ce dernier blog sera mon remerciement.

La liste est très longue.

Vous avez accueilli les Arméniens à la fin de la première guerre mondiale, victimes du génocide turc. Vous avez accueilli les Russes blancs fuyant le communisme. Vous avez accueilli les juifs d’Europe centrale, fuyant la montée du fascisme et l’anti-sémitisme. Les intellectuels anti-fascistes allemands et des centaines de milliers de Républicains espagnols chassés par Franco se réfugièrent chez vous. Durant la seconde guerre mondiale, ce fut au tour des Français libres d’être accueillis en Angleterre, en Amérique. Je voue un culte au Général de Gaulle, le plus grand résistant de votre histoire. Libérée, la France a repris sa grande tradition. Tous ceux qui fuyaient le communisme et les pays sous la domination soviétique trouvèrent en France, en Amérique, une terre d’accueil, comme, ici, le père de votre Président. Puis vinrent ici les dissidents soviétiques, le chanteur Mikis Theodorakis échappé des mains des colonels grecs, les exilés chiliens fuyant la dictature de Pinochet. Vous avez accueilli les boat people vietnamiens. Bernard Kouchner m’a raconté le bateau qu’il a mené avec les Médecins du Monde dans la mer de Chine, il m’a parlé du grand philosophe Sartre allant voir le Président français. La liste est très longue. Vous avez accueilli l’imam Khomeiny, de même que les Moudjhadins du peuple. Le commandant Massoud, un grand résistant que j’admire énormément, est venu à Paris. Les écrivains Salman Rushdie, Taslima Nasreen ont trouvé un ferme soutien chez les écrivains et les intellectuels français. Et maintenant, c’est moi-même qui bénéficie depuis trois ans de cette tradition magnifique, et la cause du Darfour reçoit le soutien constant de milliers de Français.

Ici, je respire l’air de la liberté avec mes propres poumons. J’aime votre pays. Cet accueil que j’ai reçu, je ne l’aurais peut-être pas reçu ailleurs, en Europe. Je dois remercier tous ces amis de la cause du Darfour : Bernard Kouchner qui m‘accueillit en France, même si, Ministre, il me reproche aujourd’hui mon refus de négocier avec le dictateur du Soudan, qui est le bourreau du Darfour ; il y a, bien sûr, les amis d’Urgence Darfour, mobilisés depuis le début du génocide : Bernard Schalscha, les docteurs Jacky Mamou, Lebeau, Rossin, et François Zimmeray, aujourd’hui ambassadeur français des Droits de l’Homme. Je remercie Simone Dumoulin et Jean-Marc Tiberg, de Vigilance Soudan. Trois personnes ont pris soin de ma famille et moi-même : Conile Babeth, Michel Arditti et sa femme. Je dois beaucoup aux livres de Gérard Prunier et Marc Lavergne, spécialistes du Soudan. Je n’oublie pas Bernard-Henri Lévy qui vint au Darfour avec Hertzog, qui m’a aidé à faire ce blog. Et puis enfin, il y a les centaines d’anonymes français et soudanais de France, qui ne le sont pas pour moi et que je serre ici dans mes bras.

J’aime aussi la France parce que je côtoie les Parisiens de toutes les races, de toutes les croyances, qui sont mes voisins, dans l’est de Paris. Dans mon quartier, il y a une grande église, une mosquée, une synagogue. Il y a aussi des Sikhs. A la petite école, mes deux enfants apprennent votre langue, si belle, mais difficile pour moi, et que je n’arrive pas à bien parler après trois ans. Eux la parlent comme s’ils étaient français. C’est formidable.

Je suis loin du Darfour. Je passe une bonne partie de mes journées à parler aux commandants et aux hommes sur le terrain par la voie satellite, à les soutenir. Et j’emploie le reste de mon temps à chercher ici en Europe, en Amérique les soutiens matériels et les soutiens politiques sans lesquels le Darfour mourrait.

Pour finir, je voudrais citer un poème du grand poète Victor Hugo, que mes amis français viennent de me faire connaître, et qui m’a bouleversé quand ils me l’ont traduit. Ce poème s’appelle L’Enfant grec. Je le recopie :

« Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil.
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis.

Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus ?

Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?

– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles. »

C’est un poème de résistance magnifique. Certains diront-ils que je l’ai choisi, plutôt que le Chant des partisans de la Résistance française que je connais aussi, parce qu’il justifierait déjà à l’époque les enfants-soldats ? Je ne crois pas cela, que ce poème justifie l’injustifiable. Votre symbole universel, Gavroche, l’enfant du peuple, est mort assassiné sur les barricades de la liberté.
Il n’y a pas et il n’y aura jamais d’enfants soldats au Darfour. Parce que les enfants sont, avec les femmes, les premières victimes de la guerre, et que transformer les victimes en « soldats » est un crime contre l’enfance et contre l’humanité. Nous avons trop d’hommes pour pas assez d’armes. Les enfants qui ont perdu leurs parents, leur famille, dans les massacres et viennent se refugier dans le Jebel Marra, nous les confions aux familles et à celles de nos combattants. Là où ce n’est pas possible, là où il y a trop de réfugiés ou plus personne pour les recueillir, certains enfants se réfugient dans les campements des combattants, qui les nourrissent et les hébergent. Jamais, ils ne prendront un fusil, avant l’âge de dix-huit ans. Et, encore moins, ils servent à la guerre. Un enfant-soldat, manipulé, drogué, peut terroriser des populations civiles, il peut massacrer, piller, brûler ; il ne peut jamais faire la guerre. La guerre n’a jamais été un jeu, c’est une affaire terrible. Nos combattants font face à des forces soudanaises très puissantes, aux Janjawids sans pitié, sans loi. Imaginer des enfants-soldats face à eux, face à des véhicules blindés, aux mitrailleuses, aux hélicoptères gunship ? Ce serait un carnage horrible, la tragédie assurée et la guerre perdue.

Alors, oui, de la poudre et des balles pour le Darfour. Pour les résistants et les hommes de mon pays. Ces paysans, ces agriculteurs, ces nomades qui n’avaient jamais fait la guerre ont pris les armes pour se défendre. Ils les déposeront le jour où les oppresseurs du Darfour et les génocidaires renonceront devant leur résistance et les pressions sans faiblesse, sans compromis des grandes nations démocratiques.

Merci, chers amis français de continuer à soutenir le combat du Darfour et du Soudan pour leur liberté solidaire.