La terre tourne sur elle-même bêtement et personne ne s’en soucie, oui, et les sans-soucis errent, et moi, bêtement, sans raison valable, régulièrement, je pense à Véronique  Courjault… Et pendant ce temps, las, Véronique Courjault est en prison.

Foucault l’a assez prouvé, une société lapsusse à peu près tout sur elle-même dans sa manière de traiter ceux qu’elle croit plus fous qu’elle.

Oiseau de mauvaise augure, je viens annoncer, comme mon prénom l’indique, la mauvaise nouvelle : personne ne sait vraiment ce qu’il a dans le ventre. Ça explique un peu le déni massif quant au déni de grossesse. Les incorrigibles optimistes de cette espèce dite humaine croient encore à l’instinct maternel, croient encore qu’il y a des sciences naturelles et que l’homme obéit à je ne sais quelle essence !

A ce sujet, Lacan nous avait prévenu dans son séminaire sur Les psychoses : « De la psychologie humaine, il faut dire ce que disait Voltaire de l’Histoire Naturelle, à savoir qu’elle n’est pas si naturelle que cela, et pour tout dire, qu’elle est tout ce qu’il y a de plus anti-naturel. »

Ces gens qui ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils ont dans le ventre, ces gens bien sous tous rapports, sexuel et textuel, s’indignent et reprochent à Mme Courjault de ne pas avoir su ce qu’elle avait dans le sien. Mais personne ne le sait vraiment, et la nana qui répète les grossesses nerveuses n’en sait pas plus ; ni la pondeuse joyeuse et légère. Personne ne sait ; et les hommes non plus. Seulement, il y a différente manière de ne pas le savoir. De toute évidence, le style d’ignorance de Véronique Courjault est de l’ordre du clivage psychotique. Les gens bien sous tous rapports sont ambivalents, ils veulent et ne veulent pas simultanément, les pulsions se rencontrent, négocient, se compromettent. Le clivage est une tout autre affaire : la pulsion qui veut et la pulsion qui ne veut pas ne se rencontrent jamais. Ceux qui veulent toujours simplifier les choses compliquées appellent ça un dédoublement de la personnalité. Pourtant, il n’en est rien. C’est plus topique et moins utopique que ça. Ce n’est pas la personnalité qui est dédoublée ; c’est l’appareil psychique qui, limité pour d’étranges raisons, coupe le lien entre les pulsions.

Le déni de grossesse est un mécanisme psychique de défense face à une angoisse vécue comme destructrice. Ce n’est un problème que pour les gens bien sous tous rapports, pour Mme Courjault, c’était une solution… Cette solution, elle l’a utilisée trois fois, mais les gens bien sous tous rapports n’en pensent pas moins, son ablation de l’utérus, en date du 13 décembre 2003, ne leur suffit pas, ils veulent qu’elle paye pour avoir osé venir nous rappeler que nous aurions pu ne pas naître.

Comment leur expliquer, aussi, qu’on peut être biologiquement enceinte sans l’être psychiquement ? Comment leur expliquer qu’un déni de grossesse ça ne se comprend pas comme une otite. Car une otite, c’est une infection, ça s’explique. Un déni de grossesse ne s’explique pas. Les gens bien sous tous rapports sont-ils prêts à admettre la nuance entre comprendre, au sens propre (prendre avec) et expliquer (cause/effet) ? Ce qui s’explique, c’est proprement ce qu’il n’y a pas à comprendre. Tel microbe entraine tel effet sur tel organisme qui peut se défendre contre ce microbe. C’est l’otite. Mais pourquoi une femme, apparemment bien sous tout rapport, qui a déjà eu deux enfants, étouffe-t-elle son nouveau-né, et pourquoi le cache-t-elle dans un congélateur au lieu de s’en débarrasser comme tout bon criminel vu à la télé ? Voilà ce qui ne s’explique pas, ce qui se comprend mal et doit pourtant se « prendre avec » (nous), les animaux s’auto-proclamant « humains ».

Un déni de grossesse, ça existe, ça ne s’explique pas, on doit faire avec,voilà de quoi nous sommes capables, nous les humains mais la société fait un déni du déni de grossesse, reproduisant sans se l’expliquer ce qu’elle croit avoir compris dans l’affaire Courjault. Le délire de compréhension se déploie, et pendant ce temps-là, Véronique Courjault est en prison. Reproche latent : elle doit payer pour nous avoir rappelé de quoi nous sommes capables.

Mais je vais aller encore plus loin dans la complexité : comment expliquer à ceux qui misent tout sur le déni de grossesse, que c’est encore plus compliqué que cela, au vu des faits cliniques pré ou post médiatiques ? Refus de maternité ? Ça ne veut rien dire. Dénégation de grossesse ? C’est idiot, car la dénégation, c’est ceci : « Je vais bien, en ce moment, même si depuis la mort de mon père, je suis complètement perdu ». On ne s’écoute pas parler, mais on ne cesse de formuler ce genre de phrase.

Il est beaucoup plus prudent de parler d’une femme dont le psychisme fait appel au clivage quand sa vie psychique est en danger de mort. La maternité étant, apparemment, la situation qui l’a met le plus en difficulté.

On entend dire par ci par là que c’est un « triple meurtre », car, si elle est sujette au déni de grossesse, comment a-t-elle pu avoir deux enfants, qui sont nés et qu’elle a élevés ? Difficile à dire, en effet, mais il y a peut-être quelque chose qu’on peut « prendre avec » pour comprendre sans pourtant faire un délire de compréhension. Nous savons que Mme Courjault était très proche de sa belle sœur. Et puis il y eut ce déménagement des époux Courjault en Corée. Il est possible que Mme Courjault ait utilisé sa belle-sœur comme « objet contra-psychotique »[1]. S’appuyant sur la structure névrotique de sa belle-sœur, elle a pu être mère deux fois, sans que le clivage la mène jusqu’à cette solution terrible, pour le nouveau-né et pour elle. Dès qu’elle a dû s’appuyer sur son propre fonctionnement psychique, elle a utilisé cette solution. Ce n’est qu’une hypothèse. Il faudrait vérifier si cette belle sœur a eu des enfants, combien et quand ? Je parie qu’on y trouverait de drôles de coïncidences.

Solution, mais à quoi, me direz-vous ? Je n’irai pas par quatre chemin : à l’anéantissement que représente la maternité pour le psychisme de Mme Courjault. Le clivage est donc une solution de survie. Comment faire admettre, modestement, aux gens bien sous tous rapports, experts psychiatres compris, qu’il s’agit probablement de la légitime défense d’une organisation psychique partiellement psychotique, face à la plus grande violence « ressentie » (impartageable, probablement.)

Disons-le : on ne peut pas comprendre Mme Courjault. C’est incompréhensible. On ne peut que chercher à comprendre. Et ça suffit. Mais nous devons surtout la « prendre avec » (nous), malgré tout, et ouvrir nos oreilles. Ce qu’elle a nous dire sur nous-mêmes est de la plus grande importance.

Prenons donc les signes cliniques. Restons en Corée. L’une des questions les plus passionnantes, pour nous permettre de ne pas exclure Mme Courjault de l’espèce se disant humaine, c’est de prendre en compte la question des lieux. Pourquoi les congeler ? Pourquoi dans un lieu si familier ? Pourquoi ne pas les faire disparaître ?

La congélation, ça conserve, jusque-là, même les soi-disant experts psychiatres sont d’accord avec moi. Pourquoi vouloir conserver au mieux ce que l’on veut faire disparaître ? Ce paradoxe exclut totalement la préméditation névrotique et donc, la condamnation de Mme Courjault à 8 ans de prison. Son clivage la condamne déjà, sachons-le. Ce congélateur, justement, lieu de l’horreur pour tout-un-chacun, est une aubaine pour le clinicien. Car, dans cette histoire de clivage, de pulsions qui ne peuvent pas se rencontrer, le congélateur est le seul lieux de rencontre et de compromis de l’appareil psychique de Mme Courjault. Même si ça jette un froid, justement. Et ce signifiant ne me laisse pas indifférent : il y a comme un froid dans la métaphore, qui est une comparaison sans « comme si ».

C’est le contraire de la lettre volée d’Edgar Poe. Cette fois, ce n’est pas un objet apparemment anodin, porteur d’une information décisive, que l’on expose pour mieux le cacher ; ici, c’est un cadavre que l’on cache dans un lieu anodin, mais isolant, pour mieux l’exposer. L’une des pulsions s’avoue dans un compromis ; l’autre nous dit quelque chose sur une « gelée affective » très ancienne et très ancrée.
Autant dire que nous sommes là devant la plus grande complexité, irréductible à quoi que ce soit, du psychisme humain. Mais, en aucun cas, devant une triple meurtrière méritant 8 ans de prison.

J’appelle ici, au sein cybernétique de la RDJ, à la libération immédiate de Mme Courjault ; et puis, du coup, ça fera de la place pour quelques névrotiques impunis, en commençant par Chirac ou Tibéri ; en attendant, bien sûr, la levée d’immunité de notre cher Président…
Et pendant ce temps-là, en prison…

*On me pardonnera, je l’espère de proposer un tel concept sans avoir le temps de l’expliquer.