[Extrait de l’émission où Larry King interviewe la sœur de Sharon Tate (l’épouse de Roman Polanski qui a été tuée par le groupe de Charles Manson):

Larry King : Avez-vous jamais reparlé à Roman Polanski ?

Debra Tate : Oui, je l’ai fait.

Larry King : Comment pouvez-vous avoir une conversation civilisée avec une personne qui a si brutalement assassiné votre sœur?

Debra Tate: Roman n’a pas assassiné ma sœur.

Larry King : Je suis désolé. Lorsque cette chose terrible lui arrive après la mort de votre sœur, une fois de plus vous vous retrouvez sous les projecteurs. C’est ce que je voulais dire.]

Larry King, par un lapsus qui n’est pas un lapsus, vient de résumer mieux que personne toute la malédiction (effroyable) qui pèse depuis trop de décennies sur les épaules de Roman Polanski. Il a exprimé la conscience populaire : Polanski est coupable. Coupable de quoi ? Coupable de tout. A commencer par ce dont il est lui-même la victime : le meurtre sauvage de sa femme Sharon par la bande hallucinée de Charles Manson (Charles Manson sera bientôt libéré de prison). Larry King vient, en une question inimaginable, de trahir la réalité de l’Affaire depuis le début : Polanski n’est pas seulement coupable d’être coupable ; Polanski n’est pas seulement coupable d’être accusé ; Polanski n’est pas seulement coupable d’être innocent : mais Polanski est coupable d’être victime. Par une inversion des lois mêmes de la causalité, on lui reproche ce qu’il a enduré. On l’accuse de ce qui l’a détruit. On renverse les rôles : il a perdu sa femme parce qu’il est un meurtrier. Polanski est accusé dans tous les sens : dans tous les sens sémiologiques, dans tous les sens des termes, mais aussi dans tous les sens logiques, dans tous les sens de la causalité : il est accusé à l’envers et accusé à l’endroit. Il est accusé d’être la cause et simultanément accusé d’être l’effet. Il est l’assassin de sa femme parce que sa femme a été assassinée. La femme de Polanski a été assassinée donc Polanski est son assassin.

Ce n’est plus un homme, c’est un shaker. On mélange tout dans cet homme ; à l’intérieur de cet homme. C’est un homme accusé d’être responsable d’être la victime d’être accusé d’être coupable !

Il n’incarne plus la souffrance, mais le mal. Il n’est pas seulement malheureux puisque le malheur c’est lui. Polanski aurait pu n’être redevable que des faits qu’on ne cessera jamais de lui reprocher (détournement de mineur) : mais non, hélàs. Polanski doit aussi payer pour les faits que, non seulement il n’a pas commis, mais pour ceux qu’on a commis contre lui. On l’accuse du mal qu’on lui a fait ! On le torture pour les tortures qu’on lui a infligées !

Roman Polanski habite un endroit très étrange : la brume. La brume des esprits ; il habite la capitale de la confusion. Il est logé dans les lapsus, les erreurs, les à-peu-près, les procès d’intention, les mécanismes de la meute, les réflexes, les instincts. La culpabilité, quelle qu’elle soit, les réflexes, les instants. La culpabilité, quelle qu’elle soit, finit toujours, comme si Polanski l’alimentait, à se retourner contre lui. L’erreur (l’horreur) d’un Larry King abruti qui exprime inconsciemment ce qu’il pense au fond de lui ne fait qu’aggraver la situation de Roman Polanski. Cette confusion de confusion de confusion de confusion de confusion de confusion débouchera encore, débouchera une fois de plus sur une culpabilité multipliée par elle-même à l’infini, une culpabilité de culpabilité de culpabilité de culpabilité de culpabilité de culpabilité.

Nous n’en pouvons plus. Nous voulons (je veux !) qu’on laisse ce génie en paix. Et non pas seulement ce génie évidemment, mais cet homme. Cet homme génial qui est aussi un homme tout court dont on cherche sans cesse, depuis le ghetto de Cracovie, à raccourcir l’existence. A raccourcir la vie.

Nous trouvons (je trouve !) que cela commence à faire beaucoup pour un seul homme. Et non seulement pour un seul homme, mais pour un homme seul. M. Polanski est seul et je lui dis ici, maintenant, qu’il ne l’est pas. Que nous sommes quelques uns, que je suis quelque un à le défendre, à le soutenir coûte que coûte.

Roman Polanski n’est pas un criminel de guerre (les criminels de guerre ont voulu assassiner Roman Polanski). Roman Polanski n’est pas l’assassin de sa femme (l’assassin de sa femme aurait pu assassiner Polanski). Roman Polanski est un homme qui, ne fût-ce que pour ce qu’il aura vécu ces derniers mois, mérite qu’on ne le traite pas (qu’on ne le traite plus) comme on a traité Klaus Barbie. Le seul fait que Larry King ait confondu Roman Polanski et Charles Manson est, en soit, valable pour une remise de peine. Courage, M. Polanski. Nous ne vous laisserons pas tomber. Nous vous aimons. Nous sommes là.

Je ne suis pas grand-chose. Je ne fais pas grand-chose. Mais je suis là. Et je sais qui vous êtes.

18 Commentaires

  1. article excessif pour Polanski mais qui a au moins le mérite de rétablir un minimum d’équilibre et quelques vérités face à la meute haineuse, ostensiblement haineuse qui le poursuit de posts , parfois délirants parfois ignobles , souvent méchants, sur tout le web. M. Moix a un certain courage.

  2. Ce lapsus en dit long. Moi aussi j’aimerais que l’on laisse enfin tranquille Roman Polanski. Je l’ai dit et écrit sur mon blog et sur d’autres et je me suis faite injurier, traîner dans la boue comme si je devenais complice de l’ignominie dont accusent Polanski des gens qui visiblement semblent ne jamais avoir fait dans leur vie quelque chose qui leur laisse des remords. Quel homme peut se targuer de ne s’être jamais montré un peu trop insistant ou d’avoir un peu forcé la main à une femme n’ayant pas trop envie de faire l’amour, dans certains cas peut-être profiter le plus naturellement du monde d’une légère ivresse d’une femme pour obtenir ce qu’il attendait d’elle…Le dérapage commence à partir du moment où le  » un peu trop forcé la main « glisse vers le » forcer tout court ». Tout le problème est là mais aucun être humain n’est infaillible…Que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre.

    J’ai d’autant plus été agressée pour mes prises de position que je suis une femme.
    J »ai clos les débats sur mon blog car il s’agissait d’un dialogue de sourds. Je me suis aperçue que les gens qui souhaitent voir Polanski finir sa vie en prison et ceux qui le soutiennent ne parlent ni de la même chose, ni surtout de la même personne.
    D’ailleurs la meute voit-elle encore en Polanski un être humain ou seulement un délinquant, un coupable à punir , coupable de tout y compris de ce dont il a été victime comme ce billet le montre si bien. Tous ces gens veulent juger un acte et non pas la personne qui l’a commis. Ils ne se rendent même pas compte que c’est un homme de 76 ans qui va être jugé aujourd’hui. Ne serait-ce que parce que plus de trente ans se sont écoulés depuis, cet homme ne peut en aucun cas ressembler à ce ces gens ils imaginent de lui.

  3. M. Moix semble oublier que Klaus Barbie, une fois ses crimes commis, s’est comporté comme un citoyen respectueux des lois, à défaut d’avoir créé des chefs-d’oeuvres cinématographiques. Si l’on suit ses diverses divagations, devrait-on réserver la prison pour la fin de la vie, au cas où les criminels n’auraient pas fait amende honorable ? Ou les passe-droit ne sont-ils attribuables qu’aux riches, ou mieux, aux idoles de M. Moix ?
    Car à le lire, il ressort clairement que les comportements post-criminels devraient influer sur la sanction, particulièrement dans les cas de criminels ayant préféré fuir qu’affronter la justice comme des grands.

    Ajouter au déni de justice une récompense à la couardise, en quelque sorte.

    Loin de moi l’idée de citer des causes qui mériteraient que l’on s’offusque à plus juste titre que pour défendre un pédophile repenti, tout aussi génial fut-il une caméra, ou autre chose, dans les mains.
    Après tout, chacun choisit ses batailles.

  4. Ce n’est pas un faux lapsus, mais un vrai. Larry King est coutumier de ce genre d’âneries (cf. son interview avec Paul Simon où il lui demande qui est Art Garfunkel…), et de nombreuses interviews sont lamentables…
    Par ailleurs, un commentaire mentionnant les Protocoles des Sages de Sion pouvant laisser croire à l’antisémitisme de King, rappelons qu’il est juif. Il connut une enfance difficile : orphelin de père à l’âge de 9 ans, il arrêta très tôt ses études.

    Alors certes, confondre Polanski avec Manson est odieux. Les nombreux commentaires des spectateurs américains vont d’ailleurs dans ce sens. Certains n’hésitent pas à parler de sénilité et à demander le départ de L. King (77 ans).

    Cependant ni ce lapsus de King, ni le grand talent ou le lourd passé de Polanski n’excusent ses crimes et son refus d’en assumer les conséquences.

    • « Le poids des mots usurpe parfois la réalité » est pourtant un de mes adages préférés. Si ce que vous dites sur les origines de Larry King est avéré, je ne saurais comment m’excuser d’une telle auto-intoxication qui, à votre lecture, m’aura au moins révèlé une sorte de malheureuse fraternité avec lui : Je suis moi-même quasi orphelin de naissance et n’ai guère dépassé le stade du certificat d’études primaires. Grâce à vous, donc, Orsombre, cette leçon sur la suffisance et l’aveuglement des « à prioiri », mise en lumière par ma sincère repentance, devrait nous être à tous bénéfique ! Je ne peux plus, concernant Polansky (et non ses détracteurs les plus acharnés), que me raccrocher à Blanchot faisant allusion à ses erreurs passées, et nous avouant : « …il y aurait donc dans toute vie un moment où l’injustifiable l’emporte et où l’incompréhensible reçoit son dû… »
      Dont acte. JLD

    • Cela dit, il va de soi que je continue de m’inscrire dans le lucide et vaillant collectif de ceux qui entendent combattre la meute opportuniste lâchée contre Polansky.

  5. Et si c’etait votre pere qu’on aurait accuse / insulte ainsi a la tele? Diriez vous aussi « oh, une erreur, juste un lapsus d’un vieux presentateur… »?
    Monsieur Moix, merci! Contez moi aussi parmis les quelques uns qui sont la un peu partout…

  6. … Pourquoi autant de personnes, sans aucune raison valable, en voudraient elles ainsi à Polanski? …

  7. Bon, d’accord, mais il a quand même sodomisé une mineure après l’avoir saoûler… A côté de ça, le lapsus d’un très vieux présentateur de CNN…

  8. Je crois pouvoir discerner dans la brume intellectuelle nimbant l’opinion d’un Larry King les énivrants effets pervers d’un protocole imaginaire aux effluves hélas encore délétères, celui des Sages de Sion.

  9. Pas d’accord! Mais alors pas du tout!

    L’erreur monumentale de Larry King ne saurait excuser le crime (le vrai) de Polanski (et de lui seul).
    Il devra rendre des comptes à la justice d’une manière ou d’une autre.

    Les gamins de banlieue sont emprisonnés pour avoir volé une pomme, le « génie » Polanski n’a aucune raison d’être épargné.

  10. Une autre opinion que j’ai construite est que pour moi le futur de Polanski est dans les mains des autorités, et je n’ai même pas d’opinion d’espoir positive ni négative. Le délit qu’il a commis, et la méthode qu’il a utilisé, sons horribles. Une fille de 13 ans, imaginez-vous: Champagne et drogue… Toute cette idée me fait penser qu’il a vécu une vie bien loin de la réalité.
    Les États-Unis ont leurs lois, et s’il a fuit les EU, il a commis ue erreur légale. Je ne m’exprime pas sur la validité de la loi qu’il a fuit. Il faut vivre avec les conséquences de ses acts, et si la conséquence est qu’il est envoyé vers les EU, il faudra bien qu’il accepte son sort. Artiste ou pas, que je l’aime ou pas.
    D’autre part je ressent qu’il y a un jeu de banque, avec l’UBS, et il est probable que le sort de Polanski est dans la mains des Suisses d’une toute autre façon que la version publique… Quoique l’internet est plein d’histoires, je pourrai penser que Polanski a été pris en otage d’une certaine façon. Une idée non-fondée figurez-vous!

  11. Très bel article, très émouvant. Vous y dénouez parfaitement le rouage pervers qui accable cet homme. J´ai moi-même défendu Polanski sur mon blog http://www.bookscout.es et j´aurais bien aimé savoir le faire avec la belle éloquence dont vous venz de faire preuve.

  12. Incroyable…
    Malheureusement, je ne comprend pas quand Larry King a commis l’erreur décrite si-dessus.

    Je ne pense pas que des voix de support puissent donner beaucoup de support a une personne ayant vécu tant de malheur, tant de mépris, tant de vie à la limite de l’espoir. La volonté de vouloir lui donner un tout petit soupir de support me semble malheureusement d’autant plus triste. Moi, je voudrai lui dire moi-même que le support de son propre âme sera le seul soulagement: accepter la solitude est un défis à nous tous. Plus pour l’un que pour l’autre, mais tant que la fièreté survie, il y a moyen de tenir à toute limite. Et il y à bien assez de raisons pour cette fièreté, il y en a beaucoup qui l’aiment!

    La banalité est cruelle, mais incapable de surmonter l’intélect!

  13. Encore merci pour votre défense de Polanski, Monsieur Yann Moix. Mais otez moi un doute : est -il vrai que Manson sera bientôt libéré ou demande t’il régulièrement la liberté sans l’obtenir comme j’ai cru le comprendre ?

  14. Pourquoi dans la vie de Polanski, tout se télescope toujours ?
    Pourquoi son passé, son présent et son futur sont de continuels allez-retours à la violence et à l’absurde.
    Peut-être est-il une forme de héros shakespearien ? Victime d’avoir survécu et coupable d’avoir chuté, il ne quittera pas la brume mais elle fera sa légende.