Vous avez apporté votre soutien à Roman Polanski lors de son arrestation. Avec le recul, votre regard a-t-il évolué sur cette affaire?

En aucune manière. Avec Pascal Bruckner, Milan Kundera, d’autres, nous avons lancé cette toute première pétition, dans la nuit de son arrestation – et je n’ai pas bougé d’un iota. Cette arrestation était une honte. Cette incarcération était, reste, une honte. Ce climat de justice populaire et de lynchage, cette façon qu’avait chacun d’avoir sa petite idée sur le crime, sur la peine qu’il méritait, sur les vertus comparées de la castration chimique et de l’emprisonnement, etc – tout cela était, reste, une honte. Et ce n’est pas parce que la majorité de l’Opinion rêve de voir l’auteur de Rosemary’s baby tomber de son piédestal, mordre la poussière avec, si possible, la tête au bout d’une pique que je vais changer d’avis.

À ce jour, qu’espérez-vous ?

Deux choses. Premièrement, que davantage de voix se fassent entendre pour dire combien il est fou, surréaliste, impensable, que, dans des pays où un meurtrier sort de prison au bout de vingt ans, on puisse remettre en prison quelqu’un pour un détournement de mineure commis il y a plus de trente ans : où sont passés les collègues cinéastes de Polanski ? pourquoi ce silence assourdissant de quelqu’un comme Jean-Luc Godard ? pourquoi pas un mot de l’Académie française qui était bien contente, et bien flattée, de le compter au nombre de ses membres les plus prestigieux ? Et puis ce que j’espère c’est, deuxièmement, que les Suisses comprennent qu’ils n’ont aucune raison de se mettre au service, comme ça, des caprices d’un juge américain qui veut se faire réélire et qui a juste besoin, pour cela, de ramener à ses électeurs un gros poisson : voilà trente ans que Polanski passe ses vacances en Suisse ; trente ans qu’il y est accueilli, honoré, traité avec tapis rouge ; trente ans qu’il y loue, puis y a acheté, avec la bénédiction des autorités, le même chalet ; les Suisses savent cela ; ils savent qu’un pays souverain ne peut pas changer la règle du jeu comme ça, du jour au lendemain ; et c’est pourquoi j’espère que la pression de l’Opinion suisse fera que l’Office Fédéral de Berne refuse l’extradition. »

Vous lui avez rendu visite : comment vous est-il apparu? quelles ont été vos impressions?

Un roc. Un bloc de sérénité et de courage. Et toutes ses forces tendues, il me semble, vers l’achèvement du film qui était en chantier quand on lui a tendu ce traquenard. Peut-être est-ce l’artiste, en lui, qui a pris le pouvoir et qui le sauve. Peut-être en a-t-il tant vu dans sa longue vie que cette nouvelle épreuve lui apparaît, comparée à l’enfer qu’il a traversé, comme une péripétie. Peut-être est il fatigué de se battre contre l’adversité, juste fatigué de ce destin qui s’acharne. Je ne sais pas.

Avez-vous des nouvelles récentes?

Nous nous sommes encore parlé ce matin. Les nouvelles sont celles que je vous dis. Un homme debout, bouleversé par les témoignages de solidarité qu’il reçoit quand même aussi – et qui attend.