[Interview parue dans Le Matin Dimanche, le 19 décembre 2009.]

Il y a une douzaine de jours, Bernard-Henri Lévy a rendu une visite amicale à Roman Polanski dans son chalet de Gstaad. Dans la présente interview qu’il a accordée au «Matin Dimanche», BHL décrit l’état d’esprit du plus célèbre assigné à résidence de Suisse et la relation de ce dernier, empreinte d’«embarras et de gentillesse», avec ses geôliers de la prison de Winterthour. Il affirme qu’une extradition de Roman Polanski «serait une entorse gravissime aux valeurs fondatrices de la Suisse».

Quand avez-vous rendu visite à Roman Polanski?

Il y a une dizaine de jours. Dîner amical. Bonnes et longues conversations. Et retour en France le lendemain matin.

Dans quel état l’avez-vous trouvé?

Un roc. Au travail. Confiant, il me semble. Quoique se faisant beaucoup de soucis pour les siens, ses enfants, sa femme.

Roman Polanski travaille à un film, écrivez-vous dans votre dernière chronique parue dans l’hebdomadaire Le Point…

Oui. C’est même très impressionnant. Il est en train de terminer, à distance, le montage de son prochain film qui sera, d’après ce que j’ai compris, dans la sélection officielle du prochain Festival de Berlin.

Dans son chalet, vit-il seul ou entouré?

Ce que je peux vous dire c’est que le téléphone n’arrête pas de sonner, les messages de soutien affluent – en particulier d’amis suisses. Il m’a, d’ailleurs, dit une chose que je n’ai pas écrite mais que je vous rapporte bien volontiers: durant les 50 jours de cauchemar qu’il a vécus dans la prison de Winterthour, il a été frappé par l’extraordinaire embarras, et donc la gentillesse, des fonctionnaires suisses, du haut en bas de l’échelle, auxquels il a eu affaire. Ces gens ont fait leur métier, naturellement. Ils ont été bien obligés de le faire. Mais ils semblaient – c’est ainsi, en tout cas, que Roman Polanski, non sans humour, l’a ressenti – presque aussi navrés que lui par la situation dans laquelle il se trouvait!

Dans le Point, toujours, vous décrivez la situation de Roman Polanski, enfermé dans son chalet, bracelet électronique à la cheville, comme humiliante. En quoi est-elle humiliante?

C’est au-delà de l’humiliant. Ce déchaînement autour de lui est incompréhensible et honteux.

Honteux? Pourquoi?

Ce qui est honteux, c’est, dans des pays comme la Suisse ou la France où vous pouvez assassiner votre voisin et voir votre crime prescrit au bout de 15 ou 20 ans, de mettre un homme en prison pour un détournement de mineure commis il y a trente-deux ans. Il y a là une absurdité. Et cette absurdité, s’appliquant à un père de famille de 76 ans dont chacun sait qu’il n’est pas un pédophile, devient une infamie.

De nombreuses personnes ne retiennent pas la notion de détournement de mineure. Pour eux, il y a eu viol, et cette affaire, estiment-ils, doit se terminer devant un tribunal.

Les «citoyens suisses et français», fussent-ils «nombreux», ne sont pas, que je sache, juges d’instruction. Le fait est, si vous voulez être précis, que Roman Polanski a été inculpé et jugé, il y a trente-deux ans, non pas pour viol, mais pour détournement de mineure. C’est ça, la réalité. Et c’est d’ailleurs, en partie, pour cette raison que la victime a pardonné et qu’elle supplie, aujourd’hui, qu’on veuille bien tourner la page. C’est incroyable comme tous ces procureurs du dimanche, qui prétendent «défendre la victime», se fichent de ce qu’elle ressent et de ce qu’elle peut avoir à nous dire!

Qu’attendez-vous des autorités suisses?

J’attends des autorités suisses – et je suis d’ailleurs convaincu que c’est ce langage de la raison qu’elles finiront par entendre – qu’elles soient cohérentes avec elles-mêmes. Voilà un homme qui aime ce pays, qui y venait chaque hiver depuis trente ans, qui y a été accueilli à bras ouverts quand, il y a quelques années, il y a acquis un chalet. Alors, on ne peut pas, du jour au lendemain, changer les règles du jeu. La Suisse, autrement dit, doit résister à la demande d’extradition américaine.

Au nom de quoi?

Au nom du fait qu’elle était – légitimement – fière que Roman Polanski l’ait choisie pour y résider. Au nom du fait qu’elle l’a – comme il se devait – accueilli. Et au nom du fait qu’on ne peut pas, tout à coup, sans raison, changer d’attitude et décider que l’homme qu’on a reçu avec joie et fierté, sans jamais se poser l’ombre d’une question, est un dangereux criminel à qui on tend un traquenard.

Avez-vous rencontré des fonctionnaires de l’Office fédéral de la justice pour leur faire part de vos arguments?

Je ne peux pas répondre à cette question. Mais je sais qu’il y a, aujourd’hui, dans les instances gouvernementales et judiciaires suisses, un grand nombre d’hommes et de femmes qui sentent bien qu’il y a là une situation qui n’est pas normale; qui savent que, si cette affaire Roman Polanski allait jusqu’à l’extradition, ce serait un tournant dans l’histoire de la Suisse, un désaveu de ses valeurs fondatrices, une entorse gravissime aux traditions d’hospitalité et d’accueil qui sont l’honneur de ce pays. Combien d’écrivains, d’exilés politiques, de proscrits, ont, au fil des trois derniers siècles, trouvé refuge en Suisse! On tirerait donc un trait sur tout cela? Et on le ferait avec un homme qui, non seulement n’est pas un «proscrit», mais n’a, depuis trente ans, commis aucune espèce de délit? Je vous le répète: tout cela est insensé.

2 Commentaires

  1. Actuellement je subis depuis 6 années une instruction produite sans aucun fondement par des magistrats totalement autistes qui ne respectent pas le DROIT.
    Le pouvoir absolu donné au magistrat produit des complots contre des accusés innocents .
    Dans mon cas , sans jugement , avec un casier judiciaire vierge à 72 ans , je subis un acharnement avec persécution maladive d’une batterie de magistrats dans mon Pays la FRANCE !!!!

    Je comprend la défense de BHL contre des méthodes totalement inacceptables de la part d’un Pays comme la SUISSE. Le calvaire que subit Monsieur POLANSKI est digue d’une époque révolue au seuil de 2010 !!!

    Je tiens à la disposition de B.H.L. l’ensemble de mon dossier pénal avec toutes les preuves qui prouvent le dysfonctionnement total de la Justice dans mon dossier .

  2. Quelques rectifications:

    « Le fait est, si vous voulez être précis, que Roman Polanski a été inculpé et jugé, il y a trente-deux ans, non pas pour viol, mais pour détournement de mineure. C’est ça, la réalité. » Révélateur ce besoin de rajouter que « c’est ça la réalité ». Parce que non, c’est pas ça la réalité, puisque Polanski n’a pas été jugé. Il a bien été inculpé pour détournement de mineur, mais pas jugé. C’est bien l’objet de l’article d’ailleurs, de l’empêcher d’être jugé aux USA.

    « Et c’est d’ailleurs, en partie, pour cette raison que la victime a pardonné et qu’elle supplie, aujourd’hui, qu’on veuille bien tourner la page. » Des sources ? Ce n’est pas parce que BHL décide de pardonner Polanski que la victime en décide aussi ainsi. Voilà ce qu’elle pense de Polanski, au mieux:
    “Here’s the way I feel about it: I don’t really have any hard feelings toward him, or any sympathy, either. He is a stranger to me.”
    Utiliser le terme pardon est rapide et inapproprié.

    Cette interview illustre joliment la rhétorique BHL. Elle est très simple, après avoir dressé un portrait élogieux de son artiste chouchou, homme-roc impressionnant à qui l’on voudrait donner la même auréole que le réfugié politique, BHL ne peut que démonter tous les assaillants de ce roc. Mais Polanski n’est pas un réfugié politique. Polanski a sodomisé une fille de 13 ans non consentante. C’est cru, je n’y mets aucune emphase et je n’utilise aucune forme d’hyperbole chère à BHL. C’est peut-être en démystifiant Polanski et en le rendant humain que l’on saura être objectif avec cet homme. Ne pas lui infliger la justice des dieux mais celle des hommes, voilà la simple revendication du peuple.

    Une preuve de cette rhétorique mystificatrice, BHL ne répond pas aux questions. « En quoi est-elle humiliante?
    C’est au-delà de l’humiliant. Ce déchaînement autour de lui est incompréhensible et honteux. » On n’explique pas, on aligne les hyperboles, on gonfle ses mots, plus ils sont forts, plus on en oublie le pourquoi de cette affaire. Laisser un détenu dans son chalet avec sa famille avec un bracelet électronique devient hautement ignoble. Beaucoup de détenus ont envi d’être traiter ignominieusement. Voilà un autre paradoxe de cet interview. Je propose de défendre l’Abbé Dujardin avec la même rhétorique, c’est un homme de valeur, dévoué aux autres. Il croupit en taule pour détournement de mineur. BHL se sent pousser des ailes à défendre une cause aussi noble, et c’est bien légitime. Je lui propose de voler de cachots en cachots, et de libérer avec cette majesté qui lui sied si bien tous ces malheureux qui n’ont pas eu l’occasion ou la lâcheté de fuir leur justice, qui se sont résolus à subir une peine juste, à se faire oublier, par respect pour leur victime. Tous ces hommes méritent a fortiori bien plus d’éloges que Polanski. Allons-y gaiement BHL, le chemin vers la béatification est encore long, et après on s’occupera à délivrer des gens encore plus malfaisants : les vilains dealers de drogues. Il vaut bien mieux s’envoyer une gamine qu’un sac de cocaïne, 15 ans enfermé pour ce dernier, un portrait élogieux de BHL pour cet autre.

    Quel est le but de ce commentaire ? Contribuer à un acharnement contre Polanski ? Ou au contraire tenter d’apporter des nuances à des propos hors normes, et ainsi rétablir Polanski au statut d’homme. Homme qui s’inscrit dans une société ou d’autres ont commis le même délit, ont subit leur peine, dans un souci de Justice.

    Le peuple ne s’acharne pas sur Polanski, il s’acharne sur l’éloge qu’en font ses défenseurs. Mais il a bien le droit de partager son avis non? Il me semble que BHL fait lui aussi parti de ce peuple lyncheur, se rappelle-t-il de Dieudonné ? Il veut créer des dieux et des monstres. Scinder le monde en deux, de sa plume manichéenne. Il n’affine jamais son jugement. Il n’analyse pas, il prend parti. Toute hypothèse devient thèse, irrémédiablement. Car BHL voit toujours juste et ne se trompe jamais. En témoigne son intervention derrirère la barre du procureur dans le procès de Jean-Marie Garcia, où il estimait sans même connaître le dossier que le coupable était coupable, et qui plus est raciste. La différence c’est que le peuple lyncheur, la « fachosphère » comme on se plaît à l’appeler, se contente de s’exprimer. BHL, lui, guidé par un jugement aveugle, va au tribunal, rencontre Polanski, agit, puis se permet de diaboliser ceux qui sont d’un avis autre que lui, et qui n’ont aucun pouvoir de changer les choses. Voilà où se situe BHL par rapport au peuple qu’il croit connaître. Il se dresse contre la justice américaine, contre le gouvernement suisse, contre l’avis général de la population française, suisse ou américaine. Car la justice a tort. Les suisses ont tort. Le peuple a tort. Et le simple fait qu’ils l’expriment les transforme en meute aveugle et infâme.

    Cette interview n’a aucun sens. Elle ne revendique rien, sinon une justice exceptionnelle à un homme que l’on voudrait exceptionnel. Mais on ne réclame pas d’exception quand on se veut universaliste.