Le paradoxe est phénoménal.

Et vu d’ici, à New-York, dans les quelques journaux qui s’intéressent encore à nos débats hexagonaux, il confine au grotesque.

D’un côté, on nous parle d’une identité française en péril.

On a un ministre de l’identité nationale et de l’immigration (ah ! ce « et »… le temps a beau passer, je ne parviens pas à voir dans ce « et », dans cette « copule » entre « identité » et « immigration », autre chose qu’une crapulerie…) qui, comme si la patrie était en danger, comme s’il y avait le feu dans la maison de l’Identité, charge le « corps préfectoral » d’organiser ce grand débat, ces états généraux, des valeurs fondatrices de la « douce France » chère, nous dit-on, à Charles Trénet.

Et voici même un député qui, ivre du climat ainsi créé, s’engouffrant dans la brèche ouverte par le ministre et confondant, au passage, Prix Goncourt et Légion d’Honneur, tance une écrivaine pour une interview jugée nuisible à l’«image du pays » et l’exhorte à un « devoir de réserve » qui devrait être, selon lui, requis des lauréats des Prix littéraires (j’ai beau, là aussi, tourner le problème dans tous les sens : non seulement ce député est sot, mais je ne vois pas de plus noble fonction à un grand Prix que de permettre à qui le reçoit d’ouvrir, justement, sa grande gueule, de se servir de cette distinction comme d’un porte-voix supplémentaire et de briser, justement, tous les devoirs de réserve que lui imposait sa situation antérieure…).

Or, dans le même temps, tandis que tout ce petit monde amuse la galerie avec son débat lamentable, pendant que, de gauche à droite, chacun croit bon de montrer patte blanche et de protester bien comme il faut de la fermeté de son patriotisme, pendant qu’on nous refait, d’un bord à l’autre de l’échiquier, le vieux coup bien tartuffe de la juste-question-qu’il-ne-faut-pas-laisser-au-Front-National, il y en a une, d’identité, qui est, elle, en vrai péril et dont, selon la classique logique de la lettre volée (Poe) ou au rebut (Melville), selon l’inusable principe qui veut que rien ne vaille une diversion, un bon lapsus bien articulé ou, tout simplement, un nuage d’encre, pour occulter une question embarrassante, nul ne semble s’aviser – et c’est l’identité européenne.

Je ne doute pas des qualités de celles et ceux qui se présenteront, ce jeudi soir, aux suffrages des 27 chefs d’État et de gouvernement chargés d’élire leur Président.

Mais je doute du mode de désignation, en catimini, opaque, sans audition des candidats.

Je doute des pouvoirs dont, fort d’une légitimité d’avance mal trempée, il ou elle pourra se prévaloir quand il s’agira de contrer les visées russes sur l’Ukraine et la Georgie ou de faire avancer le dossier climatique.

Et l’on ne voit que trop, en revanche, comment se met en place la pitoyable machine à perdre : que les meilleurs soient écartés ; que les plus médiocres, les plus ternes, ceux qui feront le moins d’ombre aux chefs de gouvernement et d’État montés sur leurs ergots nationaux, emportent le morceau ; avec cet effet mécanique que la construction européenne se voit alors privée, en cette heure critique de son histoire, de ses avocats les plus charismatiques et, parfois, les plus ardents.

Ma génération a vécu dans l’illusion d’une Europe inévitable et qui, parce qu’elle était censée aller dans le « sens de l’Histoire », se ferait quoi qu’il arrive.

Elle vivait dans l’idée – progressiste, littéralement progressiste, même si c’était un progressisme libéral – que l’Europe se bâtirait toute seule, en douce, dans notre dos, sans que les sujets s’en aperçoivent ni, encore moins, s’en donnent le mal.

C’est cette illusion qui vole en éclats.

C’est ce rêve d’une Europe facile qui est en train de se dissiper.

Et l’actualité du jour c’est bien, qu’on le veuille ou non, l’effritement, l’épuisement, bientôt le démantèlement d’un projet qui avait à son actif rien moins qu’une victoire sur le fascisme (Espagne, Grèce, Portugal), une autre sur le totalitarisme (la libération des nations constitutives de ce que Kundera appela naguère « l’Europe captive »), sans parler de la prodigieuse capacité à fomenter de la paix entre ennemis que l’on pensait héréditaires (France et Allemagne).

Alors, à partir de là, il faut choisir.

Ou bien on fait taire Monsieur Besson, ou bien on enterre définitivement l’Europe.

Ou bien on consent à la diversion nationaliste, ou bien on renonce au beau projet de cet objet politique de type nouveau, de cette chimère institutionnelle et idéologique, qu’était la construction européenne.

On ne peut pas, en tout cas, faire les deux : lancer, d’un côté, l’inutile débat sur une identité dont chacun sait qu’elle ne se porte pas plus mal aujourd’hui qu’il y a dix, vingt ou trente ans – et alimenter, relancer, faire avancer, l’autre débat qui, lui, pour le coup, est vital et qui porte sur une Europe qui sait de moins en moins ce qu’elle est, ce qu’elle veut et ce qui lui est permis d’espérer.

Il n’y a, aujourd’hui, et en ces matières, pas trente six manières d’envisager l’avenir : il y en a deux – et qui s’excluent.

Renouer avec la terre qui ne ment pas, reprendre racine parmi les morts – ou entreprendre, comme disait Kleist dans la célèbre page commentée par Heidegger dans Acheminement vers la parole, de « s’effacer » devant des vivants qui ne sont pas encore tout à fait là et « s’incliner, un millénaire à l’avance, devant leur esprit ».

La nostalgie d’un nationalisme remis sur le métier des rhétoriques populistes et rances, ou l’audace d’une Europe à venir, pas dans mille ans mais demain car le temps presse – tel est le choix.

3 Commentaires

  1. mardi, décembre 08, 2009
    Philosophie politique, définitions : aujourd’hui le populisme.
    Philosophie politique, définitions : aujourd’hui le populisme.

    Technique politique utilisée en démocratie pour acquérir, asseoir et confisquer le pouvoir au profit d’une minorité en grattant dans le sens du poil les peuples dans leurs bêtises les plus crasses, en leur proposant par exemple une explication ou une cause à leurs problèmes ou malheurs : recherche d’un bouc-émissaire, désignation d’un méchantpasgentil, la faute au système, etc, autant d’explications et de discours qui omettront surtout de rappeller aux uns et aux autres que le monde des humains n’est à priori et d’abord que ce que les humains en font eux-mêmes.

    On fera la différence entre le populisme de droite (« les étrangers mangent le pain des français », « les chômeurs sont des fainéants, les scientifiques n’ont pas besoin d’avoir des lettres ») et le populisme de gauche (« demain, on rase gratis », « les chômeurs sont des victimes, les littéraires n’ont pas besoin d’avoir des sciences ») cependant on notera que le projet populiste est apolitique par nature puisqu’il ne s’agit que d’acquérir le pouvoir pour le confisquer au profit d’intérêts particuliers et particulièrement de portée non généralement partagée.

    On notera également la notable différence entre populiste et populaire. Par exemple, Michel Sardou fût un chanteur populiste, Carte de séjour, un groupe de musique populaire, Cosi Fan Tutte est un opéra populaire, les opéras de Wagner sont limite populiste, Voyage au bout de la nuit est un ouvrage populaire mais Céline connut une période populiste. Frederic Beigdeber serait peut-être un écrivain populiste à l’insu de son plein gré alors que Raymond Federman serait un écrivain populaire mal connu. Les frères Grimm recueillirent des récits populaires afin de les éditer et de les diffuser plus sûrement dans le temps mais peut-être aussi en les figeant puisque les déconnectant du flux protéen des récits des bons génies populaires veillant à la conservation de leurs espèces.

    On notera qu’ historiquement l’essor et le ressort du populisme s’appuierait sur le concept de « classes moyennes » en les frottant dans le sens de « vous n’êtes pas en bas de l’échelle, et vous pouvez y grimper vers les sommets ». On précisera cependant que l’alpinisme, sport et activité complète, populaire parmi les montagnards, ne saurait être populiste puisque les ascensions réalisées y sont concrètes et réelles, l’ascension du Mont ventoux de Pétrarque relate très bien ce paradoxe où l’ascension réelle du Mont Ventoux réalisée par Pétraque en compagnie de son frère lui révèle paradoxalement l’illusionnisme de sa vie sociale passée.

    On notera que le plus brillant adversaire du populiste serait l’anarchiste, puisque ce dont l’anarchiste se moque, soit « le pouvoir », le populiste le vise. Ainsi, Jarry écrivit les aventures d’Ubu d’après Macbeth. Cependant, le meilleur adversaire du populiste resterait le démocrate convaincu de et oeuvrant à la nécessité de la dispersion et de l’équilibre des pouvoirs pour et parmi les peuples.

    Il serait possible d’interroger sérieusement le virage opérée dans les médias français à partir des grèves de 1995 en privilégiant le traitement des informations par l’émotion comme un virage populiste dans le traitement et la diffusion des informations par les médias dit généralistes, ayant eu créé peut-être un climat médiatique majoritaire à tendance populiste.

    Un rapide coup d’œil sur les une des hebdomadaires français en l’an 2009 suffirait à rapidement confirmer cette thèse, sans doute bien sûr trop rapidement, ce que nous ne ferons pas afin de ne pas céder à une pression populiste.

    http/blogs.myspace.com/manuelle.yerly
    +
    http://www.dailymotion.com/video/xbd416_les-aventures-de-burka-orange-vii_creation

  2. mille excuses pour les fautes de frappe (si si je maîtrise un peu le présent simple et jure mettre habituellement un S à la seconde personne du présent., je saut, tu sauteS lol)
    Une fracture du bras m’oblige à taper d’une main

  3. et bien voilà encore du BHL bien hermétique au commun des lecteurs, si si m’a fallu deux ou 3 lectures! tu saute une ligne ou deux mot et tu piges plus rien.

    Cher homme, je m’interroge : vous écrivez-vous à vous même, par cela n’avez pas beoin d’être explicite, les références, les allusions, les comparaisons s’auto éclairant par les données implicites connues de vous même.

    S vous avez envie d’éclairer un tant soit peu, dites la même chose simplement

    par ailleurs pourquoi « antinommer » les deux problèmes que vous soulevez.??
    Vous avez toute mon inquiétude sur l’identité européenne occultée.

    Mais elle m’est aussi importante que celle concernant l’identité nationale,. non pas en tant que sentiment nationaliste, , mais en terme de bonheur de partager une certaine identité et respecter nos différences..

    « une identité dont chacun sait qu’elle ne se porte pas plus mal aujourd’hui qu’il y a dix, vingt ou trente ans « dites vous….
    ARGH NON!!

    j’habite à MARSEILLE, même SARKOSy n’avait pas pu la mettre à mal avec ses émeutes…
    Et bien ma ville, symbole fort et réel d’intégration ,n’y arrive plus: émeutes, incendies, bagarres! (JC YZZO doit s’agiter dans sa tombe )
    ne me dites pas que ça va ou que c’est pareil.qu’il y a 20 ans.
    Non l’intégration ne se fait plus.
    Mes amis de religions diverses, dont les parents traditionnels et identitaires les avaient mis à l’ école et lycée publiques, où ils acquirent diplôme et jugement, mettent leurs enfants dans des écoles musulmanes ou juives,

    Nous avons élevé nos enfants dans des valeurs anti racistes, tolérance, humanistes et bien, ils ne nous croient plus, car les actualités ou leur quotidien ( vols téléphone, , scooter, incivilités grandissantes, ) mettent trop à mal nos bons sentiments et nous ne pouvons plus transmettre nos bons sentiments.
    Oui la moitié de nos enfant ont voté SARKOSY!! ce n’était pas le vote des jeunes avant.

    -Le débat BESSON pue par son effet racoleur de voix- FN, mais à l’occulter ou le nier, on court à la catastrophe et faisons le lit de l’-UM-P

    Bisous à tous de MArseille, où il nous reste qaund même le soleil, que l’UMP parisienne ne peut nous prendre Pour se venger, ils nous ont donné MUSELIER et GAUDIN