Genève, Palais des Nations de l’ONU, lundi 21 avril 2009. Plus que quelques secondes avant que Mahmoud Ahmadinejad, le fanatique président de la République islamique d’Iran, n’ouvre la très critiquée Conférence mondiale contre le racisme. La salle où siègent les représentants de toutes les nations du monde est comble. Avec quelques militants de l’UEJF, nous avons réussi à y pénétrer. Ironie de l’histoire, je suis installé au premier rang sur les bancs réservés à l’Allemagne. Dans mon attaché-case, une perruque multicolore est soigneusement dissimulée. Fébrilement, je touche du bout des doigts les quelques nez rouges qui glissent au fond de mes poches. Ahmadinejad monte sur l’estrade, toutes les caméras du monde sont braquées sur lui. Je suis bien décidé à dénoncer le grotesque de ce sommet onusien inauguré par celui qui méprise tellement les droits de l’homme. Dès les premières secondes de son discours, j’agirai. Il s’approche du pupitre. J’inspire profondément.

Retour à Durban, cité portuaire d’Afrique du Sud, début septembre 2001. Le premier Sommet mondial contre le racisme de ce siècle, organisé sous l’égide de l’ONU, est un naufrage. Les Nations réunies en plénière sont compromises. Pas une ligne de leur programme d’action commun n’évoque la tragédie des intouchables indiens ou l’oppression des Tibétains. Au terme d’une négociation invraisemblable, le souvenir de la Shoah est finalement rappelé, en échange du maintien des paragraphes se focalisant sur Israël. Grâce à cette réunion, la rhétorique antisioniste s’est mondialisée : Israël serait un État d’apartheid, coupable de génocide. Désormais, les mêmes slogans seront scandés partout où l’État hébreu sera vilipendé. Le forum des ONG qui s’est tenu parallèlement se transforme en arène antisémite et raciste. « Un Juif, une balle » est scandé par des manifestants enivrés par l’atmosphère délétère. Par respect pour la charia islamique, les femmes présentes ont été contraintes au silence par une minorité d’associations.

Pour moi, jeune étudiant juif d’alors, la conférence de Durban est une réalité lointaine qui frise les légendes d’un temps qui semblait révolu. Une folie qui se confond presque avec l’histoire passée. On a crié « Mort aux Juifs ! » au cœur de l’ONU et la fustigation d’Israël n’a été qu’une manière de plus de montrer ce dont les Juifs sont capables, c’est-à-dire du pire, ce dont les Juifs sont coupables, c’est-à-dire d’exister, comme cet État qu’il faudrait éliminer pour que l’ordre mondial soit rétabli. Une révolte silencieuse m’habite et je me sens impuissant, partagé entre rage et désespoir.

Huit « ans » ont passé. Devenu président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), c’est ce souvenir amer qui m’accompagne à la veille de la deuxième Conférence mondiale contre le racisme, dans le train qui me mène à Genève.

Pour les défenseurs des droits de l’homme, cette poignée d’hommes et de femmes que je retrouve derrière les mêmes banderoles dès qu’une population crie sa détresse et son refus de la tyrannie, Durban 2 est le rendez-vous.

Déjà quelques années que les portes de la Commission des droits de l’homme de l’ONU ont cédé aux coups de bélier de despotes pour qui la Déclaration universelle des droits de l’homme ne signifie rien. Tout laisse penser à une réédition de Durban 1, en plus violent peut-être. Les pays organisateurs d’abord. Durban 2 sera présidée par la Libye, vice-présidée par l’Iran et rapportée par Cuba. Les déclarations préparatoires régionales ensuite. Les pays africains ont refusé d’évoquer les massacres de masse en cours au Darfour et les récents meurtres xénophobes commis en Afrique du Sud. Dans le texte sud-américain, nulle mention de l’antisémitisme. La version compilée du manuscrit dégouline de relativisme culturel. Le choix des dates enfin. La première réunion préparatoire s’est tenue durant la Pâque juive ; la seconde, le 9 octobre 2008, jour du Grand Pardon dans le calendrier hébraïque. La conférence coïncidera avec Yom Hashoah, jour du souvenir des victimes de la Shoah. Tout cela n’est peut-être qu’un hasard… Malaise. C’est un bras d’honneur de plus adressé au peuple juif par les quelques potentats qui ont pris d’assaut la Commission des droits de l’homme de l’ONU.

Avec Dominique Sopo, président de SOS Racisme, et Richard Odier, président français du Centre Simon Wiesenthal, nous en discutons pour la première fois à l’occasion d’un voyage de la mémoire en Pologne. Sur les pavés de l’ancien ghetto de Varsovie, les opinions divergent. Faudra-t-il se rendre à Durban 2 ? Sopo est circonspect. À son sens, il faudra organiser un contre-sommet aux mêmes dates à Genève ou ailleurs. Pour Odier, le chasseur de nazis, il faut plutôt aller au cœur de la bataille : « Ne mésestimez pas l’importance de cette déclaration finale. Nous ne pouvons abandonner le bateau. C’est à l’aune de ce texte que l’ONU vote tous les budgets qu’elle accorde à l’éducation. » J’ai la position la plus radicale. Les jeux sont faits avec des dés pipés. La Commission des droits de l’homme de l’ONU est pervertie. En participant à la conférence nous contribuerons à sa légitimation. Je plaide pour boycotter et enjoindre la France et l’Europe à boycotter.

Quelques mois auparavant, à l’occasion de nos universités d’automne, nous recevions Malka Marcovich, historienne et auteur d’un ouvrage remarquable, Les Nations désunies. Les étudiants de l’UEJF sont inquiets. Le fonctionnement des instances internationales leur est inconnu. Le rapport de force apparaît très défavorable. La France semble compromise. Seuls Israël et le Canada se sont retirés. Pourtant Malka nous dit l’espoir qu’elle place dans notre organisation pour faire infléchir la France et faire entendre notre voix. La suite des événements lui donnera en partie raison.

25 juin 2008. Le CRIF convoque un comité de liaison « Durban 2 » rassemblant toutes les organisations qui au sein de la communauté juive sont préoccupées par ce sommet. En un an, ce groupe se réunira une dizaine de fois. C’est aussi avec le CRIF qu’en mai 2008 je me suis rendu à Genève pour participer à un séminaire organisé par UN Watch, une ONG dont la mission est de s’assurer que l’ONU respecte les principes énoncés dans sa charte. Nous y avons rencontré Jean-Baptiste Mattei, ambassadeur de la France auprès de l’ONU. Il a tenté sans succès de nous rassurer sur la détermination française à se retirer de la conférence si les lignes rouges étaient franchies.

Lignes rouges ? Quelques mois plus tôt, l’Union européenne a en effet défini trois limites, mentionnées dans un document confidentiel. Si elles sont violées, les États membres devront solidairement quitter la conférence. Ce document est clair. Les États européens ne toléreront aucune hiérarchisation des formes de racisme. Pour les Européens, il s’agit de couper l’herbe sous le pied de ceux qui veulent faire de la lutte contre l’islamophobie la thématique centrale de la conférence. L’Union européenne ne souhaite pas non plus que le contenu de la déclaration et du programme d’action de Durban 1 soit rediscuté. À tout prix, ils veulent empêcher l’introduction de la notion de diffamation religieuse. Enfin, dans l’espoir de prévenir les dérives anti-israéliennes de 2001, ils annoncent qu’ils ne supporteront pas la stigmatisation d’un État en particulier.

Dans le discours rassurant mais lénifiant de Mattei, nous retrouvons les mêmes intonations que dans celui du Président Sarkozy à l’occasion du dîner du CRIF le 13 février 2008. « Je n’accepterai pas que les dérives et les outrances de 2001 se répètent. La France présidera l’Union européenne dans les derniers mois précédant la conférence. Elle saura se désengager du processus si nos exigences ne sont pas prises en compte. » Lorsque nous rencontrons Mattei, chacun sait déjà que la Libye présidera un sommet au nom des droits de l’homme. Cette Libye qui quelques mois auparavant nous obligeait à retenir notre souffle dans l’espoir de voir libérer quatre infirmières bulgares et un médecin palestinien injustement emprisonnés et torturés par leurs geôliers pendant des années. En mai 2008, nous savons que Jean Ziegler, le créateur de l’invraisemblable prix Kadhafi des droits de l’homme, vient d’être nommé à un poste important à l’ONU. En mai 2008, la déclaration préparatoire du sommet est publique. Sept articles évoquent la diffamation des religions (art. 5, 26, 53, 117, 159, 216, 220). Un article appelle à la censure et à museler la liberté d’expression (art. 160). Cinq articles enfin portent sur Israël, État « raciste », coupable d’« occupation raciste » (art. 30, 31, 32, 33, 34). Lignes rouges ?

24 Commentaires

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  2. Propaganda quand tu nous tiens, ou de l’éloge des porte-flingues de la « Hasbara » sioniste en France . Ce « Forgeron » de la parole mérite une médaille du Crif.

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  5. Merci pour ce recit qui nous permet de decouvrir les coulisses de cet acte de resistance a ces nouveaux obscurantistes.
    Vous pouvez etre fiers d’avoir choisi l’action lorsque l’ONU et le Quai d Orsay adoptent la politique -il est vrai moins polemique- de l’autruche.
    Belle image des Etudiants Juifs de France.

  6. Mon Cher Raphaël,

    Merci de ce beau texte, très bien écrit, qui nous permet de revivre avec un des moments militants les plus forts de ces dernières années !

    Entre courage et pure folie, sans réelle prise en compte des conséquences en terme de sécurité physique pour toi et tes amis, tu nous fais ici partager tes doutes, et finalement la réussite éclatante de ce coup médiatique incroyable !

    Je te souhaite de conserver longtemps cette vigikance et cette capacité à réagir, à convaincre et à mener notre jeunesse vers des combats justes et indispensables.

    Bien à toi
    Denis Ktorza
    Président de Connec-Siom

  7. BRA – VO!!!

    Bravo pour ton courage!
    Bravo pour ta décision de tourner cette pseudo-conférence en mascarade!
    Bravo pour ta brillante présidence de l’UEJF!

    Et BRAVO pour cet article!!!

    Le monde manque de gens comme toi, engagés, fiers de défendre leurs valeurs, et qui ne laissent pas les fous agir impunément!

  8. Encore bravo raphael ! Belle réaction a l’encontre d’un « pays » qui ne vaut meme pas la peine qu’on parle autan de lui!
    Bonne idée de clown c’était génial …

  9. Article globalement intéressant.
    Votre action a le mérite de faire réfléchir.
    Dommage en revanche que vous fassiez, comme beaucoup de représentants d’acssociations juives, l’assimilation (plus subtile qu’ailleurs, mais quand même…) entre les Juifs et Israël. Le troisième paragraphe est à ce titre désolant de fausseté, quand vous dites que la fustigation d’Israël vise à montrer que les Juifs sont capables des pires horreurs… Non, les Juifs ne soutiennent pas tous les politiques d’Israël. On peut critiquer des politiques d’Israël, et même accuser certaines de racisme, sans être un ennemie du peuple juif…
    Je conseille à ce titre la lecture de ce manifeste, qui constitue une excellente occasion d’ouvrir son esprit :
    (lien non valide)
    En tant que représentant des Etudiant Juifs, ne représentez-vous pas aussi les membres de la communauté juive qui sont contre la politique d’Israël ? Ou peut-être confondez-vous vous-même la défense des Juifs et celle d’Israël…

  10. Félicitation à Raphael Haddad et à l’UEJF pour avoir revetu l’habit du clown pour montrer à quelle point la conférence fut une mascarade.
    Malheureusement les problème sont toujours là, rien n’a changé au bout du compte.

    Très bon compte rendu en tout cas, très interessant.

  11. Salut Raphael,

    tres interessant point de vue, bien ecrit et raconte.
    La seule question qui m’habite maintenant est la suivante : what’s next?
    Comment faire la difference entre un coup d’eclat, un coup de genie, un coup mediatique, et un coup d’epee dans l’eau ?
    Bon courage, et a bientot.
    R.

  12. Excellent article! Bravo pour votre action! Votre cause, notre cause, est juste. Et les effort, paieront un jour.
    Hazak!

  13. Article très bien écrit. Merci de nous faire partager ton analyse ! Et encore merci pour ton action, la défense de nos valeurs et de notre dignité !

    PS. Le lien twitter est éronné

  14. Maginifique texte!! bravo pour cette action si courageuse, importante et qui porte tout son sens dans ce contexte.
    UEJF continuez votre combat et poursuivez vos actions!!

  15. Bravo pour cette action courageuse et satisfaisante pour l’esprit car elle montre qu’il y a encore des jeunes décidés à se battre pour l’essentiel: notre dignité.
    Le récit est bien rédigé et facile à lire. Je regrette de ne plus avoir 20 ans pour être à vos côtés.

    bIEN CORDIALEMENT