C’était l’année du bicentenaire de la Révolution française, c’était l’année de Camille Claudel, c’était l’année des Versets sataniques… Je venais d’interpréter une artiste extrémiste, l’art à n’en plus dormir, l’art à en devenir folle, l’art à en mourir, et l’extrémisme frappait un artiste vivant en le condamnant à mort. Fatwa !

Ce n’était pas la première fois que j’entendais ce mot mais c’était la première fois que j’en saisissais toute l’horreur, tout l’inacceptable : par ce cri « à tuer » tous les musulmans du monde étaient incités à la haine envers l’auteur des Versets sataniques, à mettre à mort Salman Rushdie.

Cette même année, l’émergence du FIS projetait l’ombre de la guerre civile et du terrorisme sur le territoire algérien.

Cette fatwa, après la prise d’otages de l’ambassade des États-Unis à Téhéran en 1979, redonnait un visage effrayant à l’affrontement entre l’Occident et l’islamisme, un intégrisme, un extrémisme, qui n’avait déjà plus rien à voir avec l’islam.

Dans ce contexte, l’affaire Salman Rushdie, au pays de Voltaire, devait prendre au moins l’ampleur de l’affaire Calas : une république laïque ne peut que refuser qu’une victime expiatoire soit offerte à la vindicte populaire pour des raisons religieuses, mais elle doit aussi se battre pour qu’un artiste puisse exprimer ses idées, et ce même si elle ne les partage pas.

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » (Voltaire)

« Ils n’aiment que ce qu’ils connaissent déjà. » (Boris Vian)

Camille Claudel m’avait aidée à rester en vie lorsqu’on m’a voulue mourante et même morte (histoire de la « rumeur »). N’était-il pas la moindre des choses de ma part qu’en tant qu’artiste moi-même j’envoie un message de vie vers celui qu’on ne voulait plus voir en vie ?

Je crois que tout cela a traversé mon esprit, pas forcément dans cet ordre, mais c’est dans cet état d’esprit que j’étais à l’approche de la cérémonie des Césars. J’étais de plus dans un état de chamboulement émotionnel qui me rendait particulièrement sensible à toutes ces questions. Et comme toujours, dans ces moments particuliers, le sentiment d’urgence semble prendre le pas sur la raison : un impératif catégorique se manifeste, il faut lui obéir, il faut agir.

Quand j’ai pris la décision de faire quelque chose, je l’ai prise en innocence de cause : je ne savais pas que j’allais être gratifiée d’un nouveau César, mais, jamais, je ne l’avais si fortement et si intimement voulu, pour des raisons artistiques et pour des raisons… politiques. Artistiques parce que j’étais convaincue de la dimension de mon implication dans le rôle de Camille Claudel, politiques parce qu’il me fallait bien cette tribune, cette exposition, pour donner tout son poids à ma décision.

Cela peut prêter à rire ou à sourire, mais j’avoue qu’à la veille de la cérémonie, alors que je griffonnais quelques phrases et recopiais quelques citations, je tremblais comme une élève qui doit passer un grand oral : il ne faut pas douter du fait que l’on va monter sur l’estrade alors qu’on doute totalement de ce que l’on va dire, de ce que l’on doit dire, puisqu’on ne doit pas le dire.

Eh non, la nuit ne porte pas conseil, et le jour J, alors que je me faisais belle en avalant un comprimé bétabloquant – c’est ainsi que l’on dit dans les romans – et que les sautoirs de perles s’amoncelaient autour de mon cou, sur cette robe orientalisante trouvée au musée Saint-Laurent, ce fut… le trou noir ! Dans la voiture, mon encéphalogramme était plat, ma main droite quasi inerte retenait à grand-peine mon anti-sèche du bout des doigts.

Arrivée… Des lumières, des photographes, un tapis rouge, « Isabelle, Isabelle ! », « Isabelle, Isabelle ! », « Par ici, Isabelle ! »… La machine est en marche, il faut la suivre, il faut sourire et puis suivre tout un protocole qui vous conduit à votre place, une bonne place quand vous êtes nominée et habituée des lieux. Dans la salle, je suis placée à côté de Simone Veil : je suis intimidée par cette grande dame, le courage et la beauté, la rescapée, la combattante, la militante… Le doute revient vite en présence d’une telle figure : moi, Isabelle Adjani, Algérienne, Allemande et Française, comédienne, actrice et… quoi ? Je n’étais pas si reconnue que ça pour mes engagements et j’avais très peur de faire l’expérience du… naufrage du feu.

Mais je voulais que ce soir les applaudissements pour Camille et Isabelle soient des applaudissements pour Salman.

J’étais tremblante, on peut le voir sur l’enregistrement, mais je suis allée jusqu’au bout de ce que je voulais faire, et j’étais loin de me douter, une fois l’appel lancé, de l’impact qu’auraient quelques paroles et deux citations.

Il y a eu, quelques minutes après ma prestation, un « bravo » chuchoté par Simone Veil lorsque je me suis rassise à côté d’elle… Je n’oublierai jamais… Il y a eu un battage médiatique tellement important qu’il a, comme la fatwa, traversé les mers et les océans, ça non plus je ne l’oublierai jamais…

C’est en lisant plusieurs articles dans la presse anglaise sur cette prise de position lors de la cérémonie des Césars que Daniel Day-Lewis a cherché à me rencontrer, à me connaître… Coup de foudre… C’est de cette grande histoire d’amour qu’est né notre fils, Gabriel-Kane.

J’aime finir cette humble contribution par cette note d’espoir, une naissance contre une condamnation à mort… Merci Salman.

La fatwa plane toujours au-dessus de la tête de Salman Rushdie et d’autres fatwas, religieuses ou politiques, menacent la vie de nombreux écrivains dans le monde. Mais avec Les Versets sataniques nous a été confié qu’aucun texte n’est sacré ; ce qui est sacré, c’est l’homme, c’est moi, c’est vous, c’est Salman Rushdie, c’est nous, c’est notre liberté.

Pour apprendre le respect des mots, le respect de la lettre et de l’esprit, il faut commencer par les aimer, non ? Alors non, non et non à la pédagogie de la terreur, oui, oui et encore oui à la pédagogie de l’amour, à devenir tous les jours un peu plus philosophes et à trouver dans de grands textes, le Coran, la Torah et la Bible… d’infinies sources d’inspiration pour rester libres, pour créer, et pour aimer.

6 Commentaires

  1. “Mahomet assassinant des centaines de juifs un jour sanglant de Médine.”
    herbedeprovence.fr
    si si c’est exact : cf Wikipédia : Bataille du fossé :
    « La plupart des hommes de la tribu des Banû Qurayza furent alors exécutés pour trahison et la plupart des femmes et des enfants furent réduits en esclavage[10] ou plus vraisemblablement bannis[11]. Cette dernière explication provient de la bibliographie de Ibn Hischâm qui est la plus ancienne source historique de la vie de Mahomet. »

  2. Tout est dit dans ce texte…Vouloir faire quelque chose de courageux… et le faire.

    Tous et toutes ne l’auraient pas fait, d’ailleurs peu l’ont fait. Evidemment je ne vous connais pas, j’avoue ne pas me reconnaître dans tout le star-system et ne comprend pas les jeunes et moins jeunes qui deviennent « fan » au-delà de la raison… et c’est donc en toute sincèrité de citoyen à citoyenne que je vous dis :

    Bravo pour cet acte ! Il ne vous a peut-être rien coûté, il était peut-être facile sur des planches illuminées… oui peut-être…. et alors….Vous êtes la seule à l’avoir fait.

  3. Quel joli texte.
    Mais quelquechose me gêne quand vous parlez de cet »islamisme, un intégrisme, un extrémisme, qui n’avait déjà plus rien à voir avec l’islam ». De quel Islam parlez-vous? Certainement pas celui de Mahomet assassinant des centaines de juifs un jour sanglant de Médine. Ni celui du coran antisémite, antichrétien et sexiste du fond de ses versets. Ni l’Islam de l’Histoire et de la Géographie détruisant d’innombrables civilisations dont celles des kabyles et berbères à qui ont a volé 14 siècles d’Histoire. Ni enfin l’Islam d’aujourd’hui persécutant à qui mieux mieux chrétiens ou femmes adultères.
    Alors quel est ce mystérieux Islam qui ne serait pas un extrémisme ?

    • ni celui des juifs accueillis en terre d’islam après la reconquista… il faudra que ça rentre dans votre tête : l’islam prône le respcet de la parole donnée sinon…

    • A Rabz: fille et petite-fille émigrés Juifs tunisiens, je puis vous affirmer que des pogroms anti-juifs eurent lieu à Tunis même dans les années cinquante. Ma famille dù s’enfuir en laissant tous leurs biens et arrivèrent à Paris avec une petite valise et leurs enfants. Veuillez lire le livre : Les Juifs sous l’Islam par le prof. Lewis. Oui, la Turquie musulmane ouvrit ses portes aux Juifs persécutés par l’Inquisition espagnole
      oui, le Recteur de la Grande Mosquée de Paris sauva des Juifs pendant la guerre mondiale. Oui, je respecte l’Islam et sa grande civilisation et ses beautés archéologiques. Ainsi, je voulais visiter Samarkande, mais non, je ne porterai pas de voile. Tant pis, hélas !!! Salutations distinguées.

    • « Mahomet assassinant des centaines de juifs un jour sanglant de Médine. »
      herbedeprovence.fr

      De notre envoyé spécial

      On na l’impression que tu étais sur place. Des crétins analphabètes, y en a sur ce forum, mais des gratinés comme toi, parole je n’en ai jamais vu, un vrai spécimen, On devrait te décorer pour tes miasmes.